Critique du documentaire – Never Ending Man : Hayao Miyazaki (2019)

« NeverEnding Man : Hayao Miyazaki » est un documentaire réalisé par Kaku Arakawa. Il est sorti en France le 2 janvier 2019. Il est distribué par EUROZOOM.

De quoi ça parle : En 2013, pour la seconde fois, Hayao Miyazaki annonce sa retraite lors d’une conférence de presse à Tokyo. Kaku Arakawa fait de cet événement le point de départ de son documentaire. Il a réussi à capturer pendant deux années (2015 et 2016) les coulisses de la réalisation de son premier film en images de synthèse « BORO ».

« Connaissez vous Hayao Miyazaki ? »

Image associée

Avant de voir ce documentaire, vous pouvez vous poser vous cette question : Est ce que je connais Hayao Miyazaki ?

Moi je connais son œuvre (à travers ses films d’animation) sa carrière (à travers l’histoire du Studio Ghibli). Mais sa personnalité reste assez floue, et ses méthodes de travail, un secret bien gardé.

Ce documentaire est une chance rare de découvrir son univers, d’en savoir plus sur son caractère, ses habitudes et surtout d’être à l’écoute de ses réflexions.

Cela va peut être vous surprendre, Hayao Miyazaki a la réputation d’être assez distant, solitaire, voir caractériel.

Dans les médias, derrière son sourire communicatif, il est peu présent car il a horreur d’être filmé ou interviewé.

Dans son travail, Il est craint car il peut être très dur avec ses équipes. Nombreux sont les employés qu’il a découragé ou poussé à abandonné un projet. Et rares sont les associés qui veulent retravailler avec lui. Pour la sortie de Mononoke aux États-Unis, il envoya un sabre à Harvey Weinstein (alors patron de Miramax) pour lui faire comprendre que toute tentative de coupe serait malvenue !

Le documentaire montre ces différents aspects de sa personnalité. Cette image caricaturale est aussi une carapace. Son humour, sa sensibilité et son amour pour les autres, pour la nature, qui respirent dans tous ses films font aussi partie de sa personnalité. En fait, c’est un peu comme si plusieurs Miyazaki cohabitait en lui.

On découvre avec plaisir ses petits rituels avant de commencer le travail. Cet adepte des cigarettes Seven stars et des nouilles instantanées, qui circule en Citroen Deudeuche, mène une vie simple et assez solitaire.

On constate surtout que même à la retraite, il se pose un tas de questions sur son avenir et son besoin de création. Il avait besoin d’un nouveau défi dans le cinéma d’animation. Un court métrage et la 3D suffiront-ils pour satisfaire son appétit ?

« Réaliser un film en image de synthèses : évoluer ou renoncer à son identité ? »

Hayao Miyazaki est attaché aux choses du passé. Il est nostalgique car fidèle mais pas anti-modernisme. Ce n’est pas un homme de rupture. Il a besoin de repères pour avancer.

Il ne rejète pas le progrès technologique (c’est une amoureux de l’aviation et des machines en général). Pour ce nouveau film en images de synthèses, Il est plein d’enthousiasme sur les possibilités que la full 3D peut lui offrir. Mais il se rend vite compte que l’animation 3D demande beaucoup de travail pour son équipe. Et après plusieurs tentative, il reste déçu par le résultat…

Surtout, il se rend compte que l’utilisation du tout numérique lui pose un problème d’identité. Il manque une âme a ces dessins artificiels, trop parfaits techniquement. Et, il le voit comme une chose positive.

S’il est tellement attaché à l’animation traditionnelle, à faire chaque dessin à la main, c’est pour une bonne raison. Lui seul peut donner vie à ses créations. Le fil directeur de sa carrière,  c’est sa volonté d’unir le fantastique et le réel. Voir l’animation comme un reflet de la réalité, du cycle de la vie, sans frontière entre les mondes.

Le documentaire est un vrai témoignage de sa manière de penser son travail dans l’animation. Voici deux exemples qui m’ont marqués :

Au début du projet, il déclare à sa nouvelle équipe d’illustrateurs : « on dessine des gens pas des personnages ». Il compare la naissance de Boro à celle d’un enfant et n’est pas satisfait par le travail de reproduction. Il souhaite avant tout donner vie à l’animation.

L’autre illustration est le passage où une équipe d’animateurs 3D vient lui présenter la technique d’animation « Deep Learning ». Miyazaki fait immédiatement le lien entre ce qu’il voit à l’écran et un évènement douloureux de sa vie personnelle. Il réagit très mal à la présentation qu’on lui fait.

Il attache une grande importance à toute forme vie, comme à la recherche du bonheur, au combat contre le mal, à cette quête initiatique présente en chacun de nous. Dans plusieurs de ses films, on voit de jeunes enfants fragiles au début de leurs aventures, qui vont gagner en force au fur à mesure de l’histoire. Il considère ces images d’intelligence artificielle  comme une moquerie,  un affront face à la nature et il ne le supporte pas.

C’est une scène forte du film que j’ai aimé car je trouve qu’elle reflète sa personnalité. Miyazaki est en recherche permanente d’authenticité. Cette simplicité, ce naturel et cette franchise, il l’exprime pour résume son expérience sur l’animation en image de synthèses : « Rien ne vaut le dessin à la main ».

« Un documentaire plein d’authenticité »Image associée

Il faut savoir qu’au départ du projet, Miyazaki refusait catégoriquement qu’on le filme en face à face. Le réalisateur a donc du trouver des astuces pour positionner la caméra. C’est Toshio Suzuki (ami de longue date de Miyazaki et producteur de tous ses longs métrages) qui a joué le rôle d’intermédiaire.

Le réalisateur du documentaire raconte cette anecdote : “Arakawa, tu te sers de ta caméra comme d’un bouclier. Pose-la, et on pourra discuter normalement.” Si tu veux travailler comme un professionnel, il ne faut pas te prendre pour un professionnel. Il faut savoir garder une part d’amateurisme pour faire ressortir le meilleur de toi-même.” Selon lui, à trop vouloir que les choses soient parfaites, on fait fausse route. Je pense ainsi que si j’avais eu le loisir de me concentrer sur l’image, sur la caméra, je serais probablement passé à côté de l’essentiel. Finalement, j’ai appris à aimer ce côté artisanal de la réalisation, qui correspond tout à fait à ce qu’est M. Miyazaki lui-même.

La forme n’est clairement pas la qualité première de ce documentaire. On peut objectivement lui reprocher son manque d’ambition dans la réalisation, les errances dans le cadrage, le manque de qualité de l’image, du son…

Mais ce que j’ai apprécié (et je pense que c’est le plus important quand on réalise un documentaire), c’est son authenticité. Elle est sans artifices et caricature, les dialogues sont spontanés, le montage n’est pas coupé. C’est pour ces raisons que malgré ces défauts, la réalisation ne m’a particulièrement pas gênée.

Cela me rappelle l’abécédaire de Gilles Deleuze que je regarde encore régulièrement et que j’ai tellement eu de difficultés à me procurer. Je trouve que c’est une super opportunité que nous offre le distributeur Eurozoom et je vous encourage à aller le voir au cinéma (j’espère qu’il sera diffusé dans un maximum de salles).

En revanche, je regrette que sa durée (1h10) soit trop courte. Car je n’ai pas vu le temps et j’aurai aimé en apprendre un peu plus sur Miyazaki. Je me dis qu’en deux ans de tournage, certaines scènes sont restées dans les tiroirs. J’espère qu’une version longue rattrapera le coup lors de la sortie du DVD.

« Une incursion inédite dans sa méthode de travail »Image associée

Ce qui m’a marqué dans ce documentaire, c’est la découverte des méthodes de travail de Miyazaki. Dès le début du documentaire, « l’atelier d’Hayao nous ouvre ses portes ». Mais c’est surtout dans les locaux du studio GHIBLI que l’on voit le maître à l’œuvre. C’est captivant d’assister à son processus créatif.

Comme Boro, il avance tel une chenille. C’est fascinant de constater que malgré son expérience, ses succès, il doute souvent de la qualité de ses dessins. Perfectionniste, il peut encore passer des heures à essayer de trouver la couleur juste pour représenter de simples gouttes d’eau ou un feuillage.

Sa capacité de travail semble toujours sans limite. On s’imprègne de ses conseils : « Toujours créer les personnages avant l’histoire ». « Ce n’est pas l’histoire qui compte, un seul plan suffit pour savoir si un film est génial ».

« Une volonté intacte de dessiner la beauté du monde »

Tout au long du documentaire, Miyazaki exprime ses questions existentielles.  Lui qui pourrait couler une vie tranquille à donner des conférences dans le monde entier, reste sédentaire et plein de tracas.

Il confirme qu’il considère chaque film comme une épreuve qui lui donne envie de prendre sa retraite (il le dit depuis Princesse Mononoke en 1997). Il nous livre principalement celles qui relèvent du domaine professionnel (Il garde pour lui son jardin personnel, sa famille).

A 72 ans, il s’interroge aussi sur ses capacités. Il tourne en dérision les conséquences du poids des années (la scène ou il parle de son examen de conduite est très drôle^^). Mais plus que l’age, c’est la disparition de ses amis de toujours qui l’affecte profondément (I. Takahata mais aussi ses anciennes collaboratrices). Une preuve de plus de son incroyable fidélité.

Il s’interroge enfin sur sa succession (on parle aujourd’hui souvent de Mamoru Hosoda). Il avoue avoir longtemps cherché un successeur. En vain, tant il dévore le talent de ses potentiels successeurs, il a renoncé.

Je pense qu’il n’en trouvera jamais car il n’est pas forcement capable de transmettre son savoir (le veut-il vraiment ?). Miyazaki est un artiste qui donne ses créations au public (comme il donne des bonbons à cet enfant dans une scène du documentaire). Il est avant tout animé par une volonté de nous montrer la beauté du monde. Moi ça me suffit amplement !

Image associée

Car c’est le cas de moins en moins de films, qui sont produits uniquement sur la base de calculs de parts de marchés. La volonté de création des réalisateurs passe derrière les impératifs commerciaux de rentabilité et les retombées médiatiques. Lui n’a jamais créé Totoro ou Ponyo pour vendre des goodies (d’autres y penseront pour lui par la suite). C’est certainement là un des secrets du caractère unique et universel de son œuvre.

Conclusion : Même si la forme n’est clairement pas au rendez vous (son, cadrage) et que le documentaire est trop court, je vous conseille de le voir. Une chance rare de mieux connaitre Hayao Miyazaki. Sans dresser un portrait idéal, il nous offre un témoignage authentique de sa vision de l’animation et de sa méthode de travail. Hayao nous ouvre les porte de son monde, bien ancré dans la tradition mais qui se tourne toujours vers l’avenir. Une volonté intacte de continuer à nous montrer la beauté du monde. Bonne nouvelle, un nouveau long métrage d’animation est prévu en 2020 !

La bande annonce

Votre avis ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.