Critique du film Dans un jardin qu’on dirait éternel – Tatsushi Ōmori (2020)

Dans un jardin qu’on dirait éternel (Nichinichi Kore Kôjitsu qui se traduit par chaque jour est un bon jour) est un film réalisé par Tatsushi Ōmori qui sort au cinéma en France le 26 aout 2020. Il est distribué par Art House.

C’est l’adaptation du livre « La Cérémonie du Thé » de Noriko Morishita sorti en France en 2019.

L’histoire : Dans une maison traditionnelle à Yokohama, Noriko et sa cousine Michiko s’initient à la cérémonie du thé. D’abord concentrée sur sa carrière dans l’édition, Noriko se laisse finalement séduire par les gestes ancestraux de Madame Takeda, son exigeante professeure. Au fil du temps, elle découvre la saveur de l’instant présent, prend conscience du rythme des saisons et change peu à peu son regard sur l’existence. Michiko, elle, décide de suivre un tout autre chemin.

1) La cérémonie japonaise du thé sublimée

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Le point de départ du film, ce sont deux cousines, Noriko et Michiko (aux caractères très différents), qui vivent à Yokohama où elles viennent de terminer leurs études. Indécises sur leur avenir, elles décident de s’initier à l’art de la préparation du thé matcha. Tous les samedis, les deux jeunes filles se rendent dans la maison de leur professeur « Madame Takeda » pour apprendre l’art du thé traditionnel.

Et leur apprentissage est tout sauf simple.

Au Japon, cet art traditionnel est extrêmement codifié. Aucun mouvement n’est improvisé et surtout aucun écart n’est toléré. Quand je dis ça c’est vraiment dans le moindre geste. Le film montre très bien cela et c’est assez impressionnant de constater cette extrême application. Les mains jouent le rôle central. La manière d’ouvrir une cloison, le pliage ultra-complexe d’une serviette, la façon de saisir la louche en bois, etc. Pour servir le thé, Il faut maîtriser tous ces gestes à la perfection, et cela passe par la répétition, encore et encore parfois jusqu’à l’épuisement. On se rend compte Il faut beaucoup du temps, souvent plus de 20 ans, voire toute une vie pour devenir un maître du thé.

On pourrait craindre de vite s’ennuyer avec un film entier sur ce thème. Et bien pas du tout. Je ne me suis pas ennuyé. D’abord parce que le film trouve son rythme dans cette succession d’épreuves, dans ce récit d’apprentissage plein d’authenticité.

Le film a clairement un rythme lent auquel nous ne sommes plus habitués avec les standards du cinéma actuel, mais qui se révèle tellement agréable et apaisant. Surtout car il y a de nombreux parallèles avec la vie des deux jeunes filles.

Même si la majorité du film est en intérieur, je n’ai pas eu l’impression d’un huis clos oppressant. La cérémonie du thé se déroule dans ce petit pavillon (chashitsu) situé au milieu d’un jardin zen. Avec ses codes et ses principes (par exemple, la porte ne doit s’ouvrir à 70%) ce pavillon est le lien entre tous les éléments du film car lui seul ne change pas. C’est aussi un havre de paix dont on s’imprègne tout au long du film.

La raison est qu’il va beaucoup plus loin que la simple exécution technique de la préparation du thé. Le message central du film, c’est une philosophie de vie qui se révèle derrière cette tradition et ses valeurs.

A la questions de l’une des deux étudiantes sur la signification de ces mouvements toujours identiques, la professeure répond que c’est comme ça et c’est tout ; il faut cesser d’analyser, cesser de réfléchir, se laisser porter. « N’apprends pas, imprègne-toi, les mains finiront par bouger toutes seules ».

Et c’est là que le film prend une autre dimension. Face à la rigueur, on découvre une incroyable douceur. Derrière la pression et la tension apparentes, on découvre de la douceur, de la volupté.

Chaque mouvement devient quasi hypnotique, envoutant. Chaque détail est fascinant. J’ai été absorbé par cet univers dont je ne connaissais que la rigueur. Grace à ce film, j’ai appris à apprécier  tout est affaire de sensation.

Exemple 1 :  J’ai été captivé pat le mouvement du fouet en bambou qui mélange le thé matcha et l’eau chaude pour créer ce subtil équilibre de saveur. C’est une sensation d’apaisement devant l’écran. Comme une brise fraîche qui caresserait doucement mon visage.

Exemple 2 : Le bruit de l’eau qui s’écoule dans le bol jusqu’à attendre précisément la dernière goutte. Cette scène derrière sa technique se révèle hypnotique.

Cette impression est renforcée par la manière de filmer du réalisateur, en particulier les intérieurs qui m’a beaucoup rappelé le cinéma d’Ozu. Une action ténue, des gestes codifiés, des plans filmés au ras du tatami : je pense au cinéma d’Ozu, ( le Goût du saké ). Je pense qu’Omori lui rend un bel hommage.

3) Une impression d’harmonie se dégage de ce film

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Ce que j’ai le plus aimé dans ce film, c’est l’impression d’harmonie qui s’en dégage. Une philosophie basée sur le proverbe zen qui est aussi le titre original du film : Chaque jour est un bon jour. Vous remarquerez, il apparait à plusieurs reprises tout au long du film. D’ailleurs, je trouve un peu dommage que le titre français ne soit pas la traduction littérale du titre japonais qui est le message central du film que je vais me permettre de reprendre.

Nichinichi Kore Kôjitsu est un film lumineux, plein de symbole sur le temps qui passe et la nature qui se renouvelle. 

Pour illustrer mon ressenti, j’ai trouvé trois symboles que je veux vous présenter.

Le premier est celui de l’écoulement du temps à travers la succession des 4 saisons. Elle est abordée de manière très subtile. Chacune joue un rôle important : « les jours de pluie écoutez la pluie, les jours de neige regardez la neige, les jours d’été, ressentez la chaleur. Mettez vos 5 sens en éveil »

A l’image des nombreuses références à La Strada de Fellini (1954) qui suit un temps indéfini scandé par le cycle des saisons.
La saison des pluies, les magnifiques plans sur le jardin Zen qui évolue au fil des saisons mais qui reste vivant, rempli de vigueur et de beauté. On prend conscience que nous ne sommes qu’une partie de ces éléments qui nous composent et que nous ressentons. Les fleurs de cerisiers au printemps, l’hamémelis dont l’autre nom est la fleur de l’hivers car elle fleurit a la période la plus froide de l’année.

L’autre symbole, ce sont tous ces effets que le réalisateur utilise subtilement et qui collent parfaitement à l’ambiance du film. C’est le cas de la lumière naturelle qui pénètre dans le pavillon et de la nature qui évolue au rythme des saisons. Ce sont aussi tous ces sons, ceux de la nature, l’utilisation de la voix off de Noriko, qui participent à cette parfaite harmonie.

Tout cela contraste avec l’intérieur du pavillon, qui ne change pas et ou règne le silence propice à  la concentration des élèves.

Cela n’empêche pas le film d’être plein d’humour. C’est le troisième symbole qui m’a marqué. En particulier quand on voit les ratés et parfois même les chutes des élèves. J’ai beaucoup aimé la scène lorsque Noriko rentre dans la pièce et compte son nombre de pas et se trompe.

3) L’interprétation lumineuse des trois actrices

写真8/9|日日是好日 - ファッションプレス

La réussite de ce film tient aussi beaucoup à l’interprétation de ses 3 actrices principales. 

Ce film est bien plus que le récit d’apprentissage du thé. C’est une magnifique leçon de vie. Tatsushi Ōmori retrace la dualité d’une société japonaise et de ces femmes, à la fois ancrées dans la tradition, tout en étant tournées vers leur époque et les difficultés par exemple à trouver un travail après leur études.

Le message que je retiens est que tout est patience, persévérance et humilité. Les trois actrices sont formidables. On s’attache vraiment à ces trois personnages, à leur grand coeur et leur bienveillance.

Noriko est interprétée par Haru Kuroki. L’actrice a remporté l’Ours d’argent en 2015. Dans le film, elle incarne à merveille la la candeur d’une jeune fille qui devient désabusé par les évènements de la vie. Mais à force de patience, de volonté (au contraire des autres élèves, elle n’a jamais manqué son rendez-vous de samedi), les épreuves (une des plus belles est celle sur la plage) elle parvient à devenir une femme accomplie. Bien qu’elle ne soit pas la plus talentueuse, elle prouve que l’effort paie toujours. Le thé va lui ouvrir l’opportunité de devenir professeur. Au bout de 24 ans d’apprentissage quand même !

Ce film est aussi une parfaite démonstration de l’importance du lien entre les générations. Plus qu’un passage de témoin de la tradition, elles s’enrichissent mutuellement, pour ne faire qu’un dans une société moderne en proie en doute et au morcellement.

Et qui nous fait constater que malgré nos points communs, malgré ce qui nous rapproche, le sens de la vie fait que l’on emprunte souvent des chemins différents. Vous verrez, ce film questionne le spectateur de manière intime et personnelle et nous invite à se co ou se reconnecter à l’essentiel !

Comment parler de ce film sans parler de Kirin Kiki. Sans elle nul doute que le film n’aurait pas été aussi émouvant. J’ai découvert cette actrice dans le film les délices de Tokyo de Naomi Kawase. Et je suis tombé amoureux de cette actrice, de sa simplicité, de sa bienveillance et de sa malice.

Je vous invite à découvrir les films de cette légende de la télévision et du cinéma japonais. Elle a marqué en particulier les films de Kore eda (Tel père, tel fils ou Une affaire de famille)  Son jeu tout en retenu, impassible, avec peu de dialogues mais ou les émotions passent avant tout par la douceur de son regard et son sourire.

Dans un jardin qu’on croyait éternel, elle joue le rôle d’une professeure, particulièrement émouvante qui illumine le film. Elle était devenue la figure de la grand-mère pour tous les Japonais. Il s’agit là de son dernier film.

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Conclusion : « Nichinichi Kore Kôjitsu » est un film qui suspend le temps. En forme de récit d’apprentissage, il montre la l’art de la préparation du thé comme vous ne l’avez jamais vu. Mais pas seulement. Sa légèreté, son calme sont tellement agréables et apaisants. C’est le cinéma japonais que j’aime. Il invite à la contemplation et la réflexion et au questionnement sur notre passé, notre présent et notre futur.

A l’école trop souvent oubliée de l’humilité, ce film est une douce invitation à la réflexion, à la patience. Et à la persévérance pour apprendre à se comprendre et écouter la nature.

Sans autre prétention que sa simplicité, ce film se révèle un incroyable miroir du sens à donner aux  traditions, à l’harmonie avec la nature, au lien entre les générations dans un monde toujours plus moderne, plus rapide, où l’on ne prend plus le temps de profiter de l’instant présent. 

Un film que j’ai adoré et que je ne n’oublierai pas !

Ma critique en vidéo

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Votre avis ?

1 commentaire sur “Critique du film Dans un jardin qu’on dirait éternel – Tatsushi Ōmori (2020)”

  1. Coucou Benjamin, j’espère que tu as passé un bel été. Ta critique (article et vidéo) me donne très, très envie de voir le film ! Malheureusement, il n’est pas encore programmé chez moi en Suisse. J’espère qu’il sera distribué ou que je pourrai obtenir un DVD. Personnellement, j’aime les films lents, sur grand écran, dans lesquels on peut savourer chaque plan et chaque détail. En attendant, je me suis consolée avec le livre « La cérémonie du thé », qui est de loin le meilleur livre que j’ai lu cette année (et je lis passablement)! Merci encore pour ton analyse et un bon dimanche ! A bientôt !

     

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