Critique du film The Third Murder – Hirokazu Kore eda (2018)

The Third Murder est un film réalisé par Hirokazu Kore-eda sorti au cinéma en France le 11 avril 2018. Il est distribué par Le Pacte et disponible en DVD/Blu-ray depuis le 5 septembre 2018.

De quoi parle le film ?

Le grand avocat Shigemori est chargé de défendre un modeste employé d’usine, accusé de vol et d’assassinat. Ce dernier a déjà purgé une peine de prison pour meurtre 30 ans auparavant. Les chances pour Shigemori de gagner ce procès semblent minces, d’autant que l’accusé a avoué son crime, malgré la peine de mort qui l’attend s’il est condamné.

« Un film policier plein de maîtrise et de maturité »

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Le film se focalise sur un seul événement, le meurtre d’un directeur d’usine alimentaire à Kawasaki par un employé qu’il vient de licencier, Takashi Misumi.

L’affaire est confiée à un trio d’avocats, au profil et à la personnalité bien différente. L’idéaliste, novice dans le métier, qui recherche avant tout la vérité. Le stratège, plein d’expérience, qui connaît les rouages de l’institution. Et Shigemori (fils de juge), aux convictions inébranlables, qui semble prêt à tout pour gagner le procès. Pourtant, au fil de l’enquête et des témoignages, il commence à douter de la culpabilité de son client.

Les avocats sont confrontés à un problème majeur pour défendre leur client : l’accusé, qui après avoir avoué le meurtre, change régulièrement sa version des faits. Difficile donc d’établir une stratégie et d’avancer dans l’enquête.

Vous l’avez compris, The Third Murder est très différent des précédents films de Kore eda. Un vrai prise de risque pour le réalisateur, habitué à dépeindre uniquement les drames familiaux. S’avère-t-elle payante ?

Je dois d’abord dire qu’elle est pleinement assumée. The Third Murder est un vrai polar, noir, un film policier à l’ancienne avec son lot de rebondissements. L’originalité, qui lui confère une touche de modernité, c’est son scénario. A la différence des films policiers traditionnels, il ne s’agit pas (a priori) de trouver un coupable mais de découvrir les raisons qui l’on pousser à commettre ce crime. Les avocats vont donc devoir reconstituer les faits et se plonger dans le passé de l’accusé pour le comprendre. Le film est parfaitement équilibré et structuré en deux parties : L’interrogatoire et le procès. L’enquête, elle progresse tout au long du film, au fur à et mesure que la vérité se dévoile.

Ce que j’ai apprécié, c’est que l’on a l’impression d’être impliqué dans ce travail minutieux d’enquête.  Shigemori nous entraine dans son travail passionnant de recueil des témoignages et de reconstitution de faits. Le film nous plonge dans le passé d’une personnalité complexe, bien moins sombre qu’en apparence. Malgré l’absence de scènes d’action, on ne s’ennuie pas. Bien au contraire, chaque scène, chaque dialogue ajoute une pièce au puzzle dont dépend le destin de l’accusé.

Concernant la réalisation, Kore eda prouve son sens de la mise en scène. Plein de maîtrise et de cohérence, il excelle dans ce domaine et prend finalement peu de risques.

Mention spéciale pour les plans en hauteur, qui sont épurés et magnifiques. En particulier, les scènes filmées à l’aide de drones : au début du film, à Tokyo puis sur les monts enneigés à Hokkaido. A chaque fois, on aperçoit un train en mouvement, comme une métaphore du mouvement dans la pensée de l’avocat, qui peut aussi être perçue comme l’impossibilité de saisir la vérité. La scène tournée à Hokkaido, dans la neige; est aussi très réussi et émouvante. Elle m’a fait penser à ce plan mythique sur la glace dans le film « Eternal sunshine of the spotless mind ».

Malgré la gravité des évènements, j’ai trouvé l’ambiance pleine de mélancolie et mature, presque apaisante. Le travail réalisé sur les dialogues et la musique sont remarquables pour s’imprégner des émotions des personnages.

Enfin, il faut faire un focus sur les nombreuses scènes tournés en intérieur, fondamental pour comprendre le film. On constate que toutes les scènes montrant l’institution judiciaire (les visites en prison, le parloir, le tribunal) sont à huit clos, presque étouffantes. Comme si Kore eda voulait nous décrire une institution judiciaire à bout de souffle (je reviendrai sur ce sujet).

Au fur et à mesure , les scènes dans le parloir deviennent de plus en plus intimes, avec des plans entre l’avocat et l’accusé (formidablement interprété par Kôji Yakusho) de plus en plus rapprochés. Derrière la vitre qui le tient à l’écart du monde réel, il reste malgré tout insaisissable et suscite la fascination. Le huit clos prend tout son sens à travers ce plan de la vitre du parloir au travers duquel les visages des deux protagonistes se confondent progressivement. Il n’y a plus un avocat et un accusé mais deux hommes qui partagent le même sens de la justice. Certainement le plus beau plan du film !

Pour répondre à ma question initiale, je peux vous dire que la prise de risque est payante, le pari est relevé. Surtout, il ouvre de nouveaux horizons au réalisateur pour explorer encore d’autres genres dans ces prochains films.

« La parole est à la défense pour dénoncer l’institution judiciaire japonaise »

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The third murder est un film sur la justice, à la recherche de la vérité. Il livre un constat réaliste et sans concession du système judiciaire japonais. Plus qu’une critique de front, Kore eda préfère mettre en exergue, ses lacunes, ses failles, pour dénoncer le système. A ce titre, il donne la parole à la défense pour nous expliquer sa propre conception de la justice.

Il aborde le thème complexe de la peine de mort, avec beaucoup d’humanité et d’ouverture d’esprit. Au Japon, il faut savoir que la peine de mort n’a pas encore été abolie. Inscrite dans la constitution depuis 1946, elle est encore aujourd’hui soutenue par 80% des Japonais. Si les condamnations sont médiatisées, le cheminement judiciaire qui précède l’exécution  s’applique dans le plus grand secret. C’est précisément cette méthode que Kore-Eda montre et dénonce dans son film.

En effet, plus que n’importe quelle décision de justice, celle-ci aura de lourdes conséquences sur l’accusé. Pourtant, le risque d’erreur est toujours présent. Quelle est la bonne version des faits ? Est-ce que le travail d’enquête a permis d’établir suffisamment de certitudes pour rendre le jugement ?

On constate que dans ce système judiciaire japonais, tout est question de réputation. L’impression aussi que le verdict est cousu de fil blanc. Le juge va même jusqu’à prononcer le terme d’économie judiciaire pour éviter d’organiser un nouveau procès. On découvre qu’il doit boucler le procès le plus rapidement possible pour ne pas entacher sa réputation.

L’autre aspect passionnant est l’analyse de la profession d’avocat. Souvent fantasmé, peu abordée par le cinéma japonais, elle est ici traitée avec beaucoup de réalisme, sans condescendance. En particulier parce que Kore eda n’hésite pas à aborder des notions à priori  uniquement réservé aux facultés de droit comme la qualification des faits, le lien de causalité et l’intime conviction. En réalité, toutes ces notions relève aussi de la simple philosophie de vie. Comment introduire de l’humanité et la compassion dans un milieu froid, dur, ou la concurrence fait rage ?

Le réalisateur montre aussi que la pratique de ce métier ne consiste pas seulement à rechercher la vérité. Il consiste avant tout à mettre en place une stratégie pour gagner le procès. Au début du film, le groupe d’avocats parle ouvertement de stratégie pour modifier les faits en faveur de leur client. Ils vont aussi tout faire pour influencer les jurés. Ils n’hésitent pas à se moquer de l’avocate de l’accusation lorsqu’elle leur parle de découvrir la vérité.

Mais progressivement, au contact de l’accusé, Shinegori va changer. Qu’est ce qui est le plus important pour lui, gagner le procès ou écouter son intime conviction ?

L’intervention du père de Shigemori (ancien juge) est elle aussi très intéressante. Malgré son âge, il fait preuve de plein de lucidité et d’humour sur les psychiatres, qui ont souvent selon lui des conclusions opposées en fonctions qu’ils intervienne pour la défense ou l’accusation. L’analyse psychologique relève peut être de l’expertise mais n’est pas encore une science.

Lui qui représente le passé de sa profession, n’est plus convaincu pas le droit à la seconde chance. C’est lui qui a évité la peine de mort  à Misumi et il semble le regretter. il est devenu profondément pessimisme sur la nature humaine.

Kore eda nous donne un cours de philosophie sur le fondement des règles de nos sociétés et l’histoire de l’humanité. Deux écoles s’affrontent :

  • Dans le Léviathan, Hobbes déclare « l’homme est un loup pour l’homme » pour décrire les relations entre les être humains.
  • Au contraire, dans son contrat social, Jean-Jacques Rousseau pense que la nature a fait l’homme heureux et bon mais la société le déprave et le rend misérable. C’est cette idée qu’en se représentant à lui-même sa propre existence, l’homme naît libre et capable de déterminer son devoir-être.

The third murder nous enjoint à réfléchir à ces questions de justice sociale qui restent aujourd’hui d’actualité. L’idée d’un droit parfait ou naturel, ainsi qu’à affirmer que seul le droit positif a une valeur juridique, et qu’il est par conséquent l’unique norme à respecter.

« La relation père-fille magnifiée à travers le prisme de la justice. « 

Kore eda n’oublie pas pour autant son thème de prédilection, la famille.

C’est pour cette raison que le film est riche, car il nous offre une double lecture. Judiciaire, à travers la progression de l’enquête et la recherche de la vérité. Mais aussi humaine, à travers l’évolution des relations entre père et fille. Elle est magnifié à travers les relations croisées entre les personnages, comme autant de variation, de recomposition, de ce lien familial.

D’abord à travers la fille de la victime, interprétée par la Suzu Hirose. Troublante par sa sensibilité et sa fragilité, elle est captivante par sa volonté de contenir ses émotions  (encore une magnifique performance pour cette jeune actrice qui confirme son talent, qui sautait déjà aux yeux dans « notre petite soeur »). Quel est le lien qui l’unit avec l’accusé ? L’intrigue lèvera le voile sur cette relation mystérieuse.

Ensuite à travers la relation entre l’avocat et sa fille Yuka. Il est contraint de la négliger en raison de ses contraintes professionnelles. Lui, en quête de vérité dans son enquête,  se retrouve confronté aux mensonges et à la tromperie de sa fille (la scène ou elle révèle pleurer sur demande) dans sa vie personnelle.

La réflexion de Shigemori fait échos à cet équilibre, souvent complexe à trouver, entre vie professionnelle/vie privée : « déjà que l’on a du mal à comprendre sa famille, alors pourquoi essayer de comprendre les étrangers ».

Progressivement Shigemori va s’identifier à son client, au fur et à mesure qu’il découvre son passé, et en tirer les enseignements pour briser la barrière qu’il a dressé avec sa propre fille. Leur conversation téléphonique est un moment fort du film. Si Misumi dit ne pas regretter pas son meurtre, lui s’excuse de son absence.

Au final, il comprend que le meurtrier, accusé, pourrait en réalité être le juge des fautes de sa victime. A-t-on vraiment besoin de l’institution pour se faire justice ? Kore eda présente le juge comme quelqu’un qui joue avec la vie des autres, comme Misume avec celle des oiseaux…

Kore eda termine le film sur une question philosophique ouverte : vaut il mieux faire confiance à l’institution justice ou écouter son sens de la justice, faire jouer son libre arbitre ? Qui décide de juger quelqu’un ? Si la justice est parfaite, pourquoi la femme de la victime n’est pas jugée, pourquoi de nos jours, des innocents sont encore condamnés ?

La dernière image est symbolique mais saisissante de réalisme et pleine de lucidité sur les multiples directions qui s’offrent à nous pour atteindre la justice et la vérité.

Conclusion :

« The Third Murder » est un film d’une grande richesse. Un polar passionnant, à la mise ne scène maîtrisée et dont l’ambiance n’a rien à envier aux standards du genre. Surtout, c’est un film profondément humaniste sur la force des convictions et des valeurs humaines face à la froideur et au pouvoir de l’institution judiciaire. 

Kore eda a eu raison de prendre des risques. Il se renouvelle sans pour autant délaisser son identité. La relation père-fille est ainsi magnifiée à travers le prisme de la justice et de la vérité.

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