Le film d’animation « Demon Slayer » – Sauveur du cinéma au Japon ?

Le film « Demon Slayer – le Train de l’infini » (titre original : Kimetsu no Yaiba: Mugen Ressha-Hen) est sorti au Japon le 16 octobre 2020. Il était attendu et depuis sa sortie, il explose le box office japonais.

Dans le contexte actuel (alors que la liste des films reportés n’a fait que s’allonger) est-ce que ce succès est une grosse surprise ou carrément prévisible ?

Comment l’expliquer alors qu’en France, la fréquentation des cinémas français a été divisée par deux en 2020 ?

Je vous dévoile ma réponse. N’hésitez pas à me dire ce que vous pensez dans les commentaires.

1) Des chiffres énormes, dans le contexte sanitaire actuel :

Pour vous donner une idée de l’ampleur du succès immédiat de ce film, voici quelques chiffres.

Ce film est tout simplement, le meilleur démarrage de l’histoire du cinéma japonais.

– Le 1er jour d’exploitation : 31 825 58 millions de dollars de recette. Au japon, le prix d’une place cinéma au Japon est d’environ 16 euros.

– La 1ère semaine d’exploitation est impressionnante : plus de 43 millions de dollars, grosso modo 3 millions d’entrées.

À titre de comparaison (et dans le même contexte), « Tenet » de Christopher Nolan, a engendré (seulement) 21 millions de dollars, depuis sa sortie le 18/09/2020.

Nul doute que « Kimetsu no Yaiba : Mugen Ressha-Hen » va rapidement atteindre et dépasser les 100 millions de recettes.

Pour rappel, au Japon, c’est « Le voyage de Chihiro » qui est le film d’animation qui détient le record avec plus de 229 millions de recettes au Japon (dans le monde, il a été recemment dépassé par « Your Name » de Makoto Shinkai, plus grand succès d’un film d’animation japonais).

Voici le tableau des 10 plus grands succès (en recettes) pour des films d’animation japonais au Japon et dans le monde (source : BoxOfficeMojo.com) :

Le film d’animation "Demon Slayer" - Sauveur du cinéma au Japon ?

Et comme l’animation n’est pas qu’une question d’argent, je vous propose d’analyser ce qui se cache derrière ces chiffres. En effet, aujourd’hui, c’est avant tout la popularité d’un film qui fait son succès, le fait qu’il touche le plus de monde et son dégré d’attente. Et « Kimetsu no Yaiba » fait partie de cette catégorie.

2) Le film d’animation le plus attendu de l’année au Japon :

A sign for the movie based on the popular Japanese manga “Demon Slayer” at a Tokyo theater last week.

Cela ne fait aucun doute. L’attente était énorme autour de ce film au Japon. Donc ce succès n’est pas une surprise.

C’est d’abord le succès d’une licence (manga et animé). En 2019, le manga de Koyoharu Gotoge a quand même détrôné « One Piece ». Il faut se rendre compte du phénomène : sur la période allant du 19 novembre 2018 au 17 novembre 2019, Demon Slayer a ainsi vendu 12 057 628 tomes cette année, contre 10 134 232 pour One Piece.

Ce qui est étonnant, c’est que c’est une oeuvre trés récente. Aujourd’hui, tout le monde a entendu parler de Demon Slayer. La saison 1 est sortie en 2019. 26 épisodes qui adapte le manga jusqu’au milieu du vol.7. Le studio Ufotable a réussi son pari avec une adaptation de grande qualité. D’ailleurs, on peut penser qu’une saison 2 est déjà engagée, à suivre…Ok, certains disent qu’e l’animé est sur-coté, mais il faut lui reconnaitre ces qualités : l’histoire, la qualité de l’animation, les personnages, la musique.

La particularité de ce film, c’est qu’il est la suite directe de l’anime. Découvrir la suite d’une œuvre que l’on a apprécié, ça renforce considérable l’attente ! Pour l’occasion, on ne change pas une équipe qui gagne. Le réalisateur de l’animé Haruo Sotozaki a repris du service.

L’autre point d’interrogation avant la sortie de ce film, c’était la capacité et les conditions d’accueil des salles de cinéma japonaises, dans le contexte sanitaire actuel.

Au Japon, tout a été fait pour être à la hauteur de l’évènement. Les restrictions due à la pandémie ont été partiellement levées pendant l’été. Au mois d’aout, une étude de Gem Standard révélait en août que 60% des Japonais étaient réticents à retourner au cinéma et 38% attendaient un film qu’ils voulaient vraiment voir. Nombreux sont donc ceux qui sont retournées au cinéma uniquement pour voir ce film.

Pour assurer sa distribution, la réponse est à la hauteur de l’attente. Toutes les grandes salles projettent le film. Certaines salles l’ont programmé plus de 30 fois par jour. Pour vous rendre compte, voici le lien pour choisir votre horaire au cinéma de Toho de Shinjuku : https://hlo.tohotheater.jp/net/schedule/076/TNPI2000J01.do

L’histoire du film : Enmu, la première Lune Inférieure, a été chargé de tuer Kamado Tanjirô pour devenir une Lune Supérieure et avoir plus sang de Muzan. Pendant ce temps, Tanjirô, Zen’itsu et Inosuke décident d’acheter des billets pour monter à bord du train de l’infini et ainsi rejoindre Rengoku Kyôjurô dans l’espoir d’en apprendre davantage sur la danse du dieu du feu.

Il est produit par la TOHO et distribué par Aniplex. Funimation, Aniplex USA sortira le film dans les cinémas nord-américains au début de 2021. En France, aucune information pour le moment sur son arrivée grand écran.

La bande-annonce (en VOSTFR) :

3) Pourquoi le cinéma d’animation occupe une place si importante au Japon ?

Héritage d’une politique (Ségolène) de décridibilisation par le préjugé, l’animation japonaise conserve en France une image assez particulière. Trop enfantine pour certains, trop violente pour d’autres, nombreux sont ceux qui lui ont fait un faux procès. Au cinéma, malgré une demande croissante, l’animation japonaise a mis du temps à arriver dans nos salles obscures. Aujourd’hui, malgré les bonnes critiques, l’animation japonaise n’a pas la lumière qu’elle mérite. Et pourtant, elle participe au rayonnement de la diversité culturelle.

Ce constat est vrai aussi (dans une moindre mesure) pour le cinéma d’animation français qui est pourtant dynamique et très créatif. Les triplettes de Belleville, Kirikou… Il existe un vrai parallèle entre les deux, un fil invisible, comme si l’animation n’avait pas frontière. Pour dernière preuve « le Petit Vampire » (que je vous invite à découvrir) de Joan Sfar qui a affirmé s’être inspiré des films du studio Ghibli.

Au Japon, le rapport entre le public et l’animation est complètement différent. Si le cinéma d’animation japonais occupe une place très importante. Et ce n’est pas seulement par sa qualité et son attachement à l’animation traditionnelle.

Un monde à part qui occupe une vraie place dans la culture japonaise et qui touche émotionnellement le public, toutes générations confondues (les plus jeunes comme des personnes âgées). Pour comprendre comment il tourne, j’ai identifié quelques pistes de réflexions.

Le public japonais :

Vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’au Japon, la plus grande partie des entrées au cinéma sont réalisées en journée et pas le soir. D’ailleurs, de nombreux cinéma proposent des tarifs réduits « nuit » dès 20 heures ! Quand on va au cinéma, c’est souvent une sortie en famille. Et le film d’animation est souvent la cible privilégiée.

Le nombre moyen d’entrées par habitant est seulement de 1,3 (3,1 en France) au Japon. Il est en chute libre depuis 1950 où il était de 13,9 (8,9 en France).

L’autre point en faveur de l’animation japonaise, ce sont ses racines, le fait qu’elle parle à son peuple. Hyper diversifiée, elle décline des univers magiques, l’imaginaire mais aussi traite des thèmes qui tiennent à cœur au japonais. De l’histoire du Japon, la valorisation de sa culture, ses croyances et ses aspirations. Tous ces symboles et les liens forts entre les personnages (à travers l’évolution de leur personnalité, leur quête initiatique) en font un cinéma à part.

L’animation japonaise est depuis toujours un vecteur de valeurs positives. Elle n’hésite pas à regarder en arrière (dans un recoin de ce monde) pour mieux préparer le futur (mirai, ma petite sœur).

Enfin, il faut bien reconnaitre que le public japonais reste friand et fidèle aux grosses licences de l’animation. Detective Conan, Pokemon, Doraemon sortent un long métrage d’animation quasiment une fois par an. Et ces films trustent toujours le top du box office japonais.

La structure de l’industrie du cinéma :

What's your favorite production company logo intro | NeoGAF

Le Japon est aujourd’hui la 5 ème puissance mondiale du cinéma (en nombre de productions).

A l’image de la Chine, de l’Inde, de la Corée du sud, le cinéma japonais monte en puissance et s’impose sur la scène internationale. En 2012, ces quatre pays ont produit 2700 films, soit plus du double des films produits par les Etats-Unis et l’Europe réunis. Il n’existe donc pas de crise du cinéma asiatique, principalement en raison de son dynamisme et du faible taux de pénétration des films étrangers.

Au Japon, chaque semaine au cinéma, on retrouve en salles la répartition suivante : 1/3 de films d’animation (j’inclus les Disney), 1/3 de films japonais Live (Kore-Eda, Kawase, Kurosawa…) et 1/3 de blockbuster américain (type Marvel). Un constat sans appel sur la puissance de l’industrie nationale du cinéma au Japon.

La compréhension des attentes du public, l’industrie du cinéma d’animation japonais l’a maitrise parfaitement. Pourtant, c’est une vieille industrie, assez conservatrice qui se remet peu en question. Son fonctionnement a peu changé depuis l’époque d’Osamu Tezuka. La seule différence, c’est qu’elle s’est considérablement diversifiée (figurines, goodies, jeux vidéo), ce qui permet de faire de plus en plus de bénéfices. Et son rayonnement dans le monde a explosé.

Mais sa structure reste là même. La majorité des décisions sont prises par un « comité de production » réunissant plusieurs entreprises pour la production d’un film ou d’un programme de télévision. Au sein de ces comités, ce sont les plus puissants les majors, les studios de production qui décident.

Comme illustration, la Tōhō, créé le 8 août 1932 à Tokyo, est toujours en service. Et produit de plus en plus de films d’animation, en collaboration avec des studios d’animation.

Aujourd’hui, le Japon compte environ 400 studios d’animation. Mais leur nombre tend à diminuer notamment avec le développement de la sous-traitance à l’étranger. Surtout, les animateurs tirent régulièrement la sonnette d’alarme sur leurs conditions de travail (faible rémunération, rendement impossible, contrats précaires…).

Des blockbusters américains en retrait :

Le Japon est une anomalie dans l’importation des blockbusters live américains. Il n’existe pas de « préférence » du public pour les films américains. Pour toutes les raisons que j’invoquais ci-dessus. Certainement aussi car il y a une appropriation moindre de la culture des super héros américains. En 2020, le genre « sentai », de « Bioman » à « Power Rangers » se porte encore bien et reste super populaire.

Des films comme Avengers ont donc un succès moindre au Japon par rapport à la majorité des autres pays. Pour illustrer cette hégémonie de « l’animation au cinéma au japon », voici un tableau des 8 plus grands succès en salles de tous les temps.

Combien de films d’animation japonais ?

Le film d’animation "Demon Slayer" - Sauveur du cinéma au Japon ?

https://japoncinema.com/les-films-danimation-japonais-a-voir-au-cinema-en-2020

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