L’histoire du cinéma japonais et le festival de Cannes

I – Le cinéma japonais : une histoire d’une grande richesse

Régulièrement récompensé lors de festivals internationaux, le cinéma japonais se distingue par sa richesse et sa singularité. J’ai souhaité rédiger un article spécial pour parcourir la grande histoire du cinéma japonais et du festival de Cannes.

A l’origine, le jidaigeki, ou film de capes et d’épées est le premier grand courant du cinéma japonais.Afficher l'image d'origine

Ce genre connait un âge d’or dans les années 50. Le Chambara, désigne ce style cinématographique mettant en scène des combats de sabre, est parvenu à influencer de nombreux réalisateurs notamment hollywoodiens comme Quentin Tarantino.

On se souvient tous du film les 7 samouraïs réalisé par Akira Kurosawa qui est sorti en 1954. Ce film culte a directement inspiré les Sept Mercenaires, western américain tout aussi culte de John Sturges sorti en 1960.

La reprise économique qui a débuté aux débuts des années 1960 explose après les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. Une nouvelle génération de réalisateurs nés dans les années 1930, passionnés de littérature, d’art et de cinéma étranger et influencés par les idées de la gauche intellectuelle attendait son heure.
On retrouve parmi eux Nagisa Oshima, Kiju Yoshida ou Masahiro Shinoda qui avaient fondé une revue, critiquant leurs aînés tels que Ozu et Kinoshita et encensant Godard, Truffaut, Resnais et ce nouveau cinéma européen.

Il faut attendre 1963 pour voir le premier film japonais récompensé à Cannes. Il s’agit « d’Hara Kiri », de Masaki Kobayashi qui remporte le Prix du jury. Quant à la première Palme d’or, c’est le maître japonais Akira Kurosawa qui l’obtient en1980 pour le mythique Kagemusha, l’ombre du guerrier, film fleuve à l’esthétique inimitable.

Puis c’est Shohei Imamura, qui rentre dans la légende en devenant le seul asiatique doublement palmé avec la poétique « Ballade de Narayama » (1983) et « L’Anguille » (1997), un drame éprouvant d’une grande violence morale.

Dans les années 2000, Cannes attire de plus en plus de jeunes réalisateurs japonais. Ainsi a-t-on vu à Cannes les réalisateurs Kore-eda Hirokazu et Kawase Naomi. Sans oublier Kobayashi Masahiro, qui a la particularité d’être plus connu sur la croisette qu’au Japon, qui a présenté Bashing en Compétition Officielle en 2005.

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Dans sa biographie, Takeshi Kitano parle du cinéma japonais. Il existe aujourd’hui, selon lui, deux types de cinéastes au Japon, « ceux, proches ou héritiers d’Akira Kurosawa, qui aiment mettre en scène des situations très marquantes et des personnages aux identités fortes, et ceux qui, à l’inverse, à la façon de Yasujiro Ozu, au gré d’un cinéma très intimiste fait de petits détails à peine visibles, rendent compte des petits riens et des vibrations de la vie de tous les jours. »

A propos du festival de Cannes, Kitano déclare: « Je me souviens des applaudissements nourris du public, qui ne semblaient jamais devoir cesser, et de ses acclamations après la projection officielle. Jusqu’à aujourd’hui, ces applaudissements demeurent dans mon souvenir une expérience inégalée, une véritable tempête. Cette expérience précieuse m’a stimulé, et c’est grâce à elle que je continue aujourd’hui à tourner des films. Les festivals du film font grandir les auteurs ».

Le festival de Cannes confirme cette volonté des cinéastes japonais à l’écriture et aux préoccupations nouvelles, souvent hantés par les fantômes du passé.

Kiyoshi Kurosawa devient un des maîtres du fantastique moderne avec des films comme Le Chemin du serpent en 1998, Charisma en 1999, Kairo en 2001. Il remporte un prix spécial du Jury au Festival de Cannes avec Tokyo Sonata.
Le film très émouvant « Suzaku » de Naomi Kawase, caméra d’or à Cannes en 1997 se rapproche du cinéma d’Ozu avec sa lenteur calquée sur le portrait d’une famille rurale frappée par la crise économique.

En 2016, Le prix du jury dans la catégorie « un certain regard » revient à Harmonium de Kôji Fukada, subtil mélodrame familial où douceur et violence s’entremêlent.

Ces films témoignent tous d’une véritable volonté à délivrer des discours plus personnels sur le Japon d’aujourd’hui. Preuve que le cinéma japonais ne cesse d’innover et de se renouveler, pour notre plus grand plaisir, et de confirmer sa place importante au festival de Cannes.

II- LE JAPON, 5 EME PAYS LE PLUS RECOMPENSE (avec 5 palmes d’or)

On recense 5 films japonais récompensés par la Palme d’or au festival de Cannes. Shōhei Imamura fait partie du club très fermé des réalisateurs qui ont remporté deux fois ce prix.

1) La Porte de l’enfer, réalisée par Teinosuke KINUGASA (palme d’or en 1954)

KINUGASA est le premier réalisateur japonais à se voir décerner la récompense suprême, lors de la 7e édition du festival. L’esthétisme visuel précurseur de cette œuvre est le gros point fort de ce film. Couleurs vives et évocatrices, décors variés et réalisation efficace font de ce film un classique du cinéma japonais.

De quoi ça parle : au XIIe siècle, alors que le Japon traverse une guerre civile, la servante Kesa est utilisée pour détourner l’attention des rebelles de la famille impériale. L’un des samouraïs qui composent son escorte tombe violemment amoureux d’elle, au point de demander sa main. Mais Kesa est déjà mariée…

2) Kagemusha, l’Ombre du guerrier, réalisé par Akira KUROSAWA (Palme d’or en 1980)

Somptueuse fresque médiévale, rythmé par des scènes de combat spectaculaires, ce film est sans conteste un référence du cinéma japonais.  Il dépasse le simple film guerrier pour se rapprocher d’une réflexion plus symbolique : Comment un « vulgaire » homme du peuple devient un acteur incarnant un roi ? Cette palme d’or au festival de Cannes est donc un juste récompense pour Kurosawa, à 70 ans et après quatre décennies de carrière.

De quoi ça parle : Au XVIe siècle, le Japon est en proie à des guerres incessantes entre les clans. Le chef du clan Takeda rêve de prendre Kyōto et de s’emparer ainsi de tout le pays. Mais il est mortellement blessé avant de parvenir à ses fins. Pour protéger le clan, il ordonne alors à ses vassaux de dissimuler sa disparition. Son frère trouve alors sur un sosie pour le remplacer, duper l’entourage du clan et défendre le territoire des Takeda.

3) La Ballade de Narayama réalisé par Shōei IMAMURA (Palme d’or en 1983)

Dans ce film, le réalisateur met en avant le fonctionnement autarcique des habitants d’un village, loin de tout. Les rites et les coutumes sont ces repères qui structurent le temps qui passe. Mais ce repli social donne aussi plus d’importance aux besoins primaires de l’homme : boire, manger, se rapprocher. Imamura insiste aussi sur le côté animal de l’homme qui le rattache à la nature.

Un film intelligent, singulier, qui dénonce la société contemporaine, trop tournée vers la possession matérielle.

De quoi ça parle : Dans une région où sévit la famine, un village japonais vit dans le respect des croyances primitives. A l’approche des 70 ans, les vieillards sont conduits en haut de la montagne et abandonnés aux vautours. Bien qu’encore en pleine possession de ses facultés mentales et de ses forces physiques, la vieille Orin se prépare à se soumettre à la loi.

LA BALLADE DE NARAYAMA

4) L’anguille (unagi) réalisé par Shōei IMAMURA (Palme d’or 1997)

Huit ans après son dernier film, « la plume noire » qui a été un gros échec commercial Imamura prend ici un gros risque avec ce film au scénario atypique. Le film est calme et lent ce qui peut déplaire (on peut lui reprocher sa légèreté que certains qualifieront d’insipide). A mon sens, le point fort du film c’est sa capacité à assimiler le spectateur aux personnages principaux et sa capacité de réminiscence, sur des questions de société. Réflexion anthropologique sur la place des criminels dans la société, Unagi traite la question épineuse de la rédemption et ses conséquences sociales.

De quoi ça parle : Yamashita est un homme en liberté provisoire  après avoir passé plusieurs années en prison pour le meurtre de sa femme. Ayant appris le métier de coiffeur au cours de sa détention, il décide de s’installer dans un « no man’s land » non loin de Tokyo. Il continue à se murer dans le mutisme, ne se confiant plus qu’à une anguille. Peu à peu, le salon, qu’il retape de ses mains, lui permettra de renouer des liens avec d’autres personnes qu’il va rencontrer.

5)Une affaire de famille réalisé par Hirokazu Kore-eda (Palme d’or 2018)
L’histoire : Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, les membres de cette famille vivent heureux, jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

En 2018, Hirokazu Kore-eda est venu présenter son 7eme film au Festival de Cannes. Déjà récompensé en 2013 pour le film “Tel père, tel fils” (prix du jury), le réalisateur japonais est donc un habitué du festival de Cannes.

Plus qu’une consécration ou un renouveau, c’est une confirmation. D’abord que H. Kore eda est un grand réalisateur (on le savait déjà). Ensuite que le festival de Cannes à tendance à  récompenser les habitués (on le constate une fois de plus). C’est donc une juste récompense pour le réalisateur japonais engagé.

Le film résonne en échos à des problèmes actuels au Japon. Le délitement de la classe moyenne, le fait qu’un fossé se creuse entre les très riches et les très pauvres qui ont du mal à subsister en dépit du fait qu’ils travaillent. Le japon connaît comme les pays occidentaux une hausse de la précarité.

Bande annonce :

 III- LES PALMES D’OR EUROPÉENNES S’EXPORTENT MAL AU JAPON
 L'histoire du cinéma japonais et le festival de Cannes
En raison de la trop faible distribution des films européens au Japon, les œuvres qui reçoivent la Palme d’Or au Festival de Cannes s’exportent mal au Japon.  Le constat est sans appel : les films sortent en moyenne 18 mois après leur présentation au Festival de Cannes. Des films comme Le Ruban blanc (Palme d’Or 2009), Des Hommes et des Dieux (Grand Prix 2010) ne sont encore pas sortis au Japon.
Plusieurs explications peuvent être avancées.
D’abord, il n’existe pas au Japon d’organisme public pour assurer la gestion de la diffusion culturelle européenne et un très faible nombre de salles d’art et d’essai qui pourrait assurer la diffusion de ce type de films.
Ensuite, le prix d’une place de cinéma qui peut atteindre 1 800 yens (15 euros) au plein tarif. le Japon se démarque donc par son fort tarif mais également par une faible fréquentation. Les japonais vont en moyenne 1,3 fois au cinéma par an, soit trois fois moins que les Français.
Nul doute que ces problèmes structurels auxquels il faut ajouter la concurrence des blockbuster américains freinent l’exportation de nos films européens au Japon qui peinent à s’imposer malgré la formidable vitrine que constitue une palme d’or.

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