Mon interview du réalisateur Ryusuke Hamaguchi

Dans le cadre de l’évènement japonisme 2018, j’ai eu l’honneur d’interviewer le réalisateur Ryusuke Hamaguchi.

En 2018, il était venu au festival de Cannes pour présenter son dernier film « Asako I et II », sélectionné en compétition officielle pour la palme d’or.

En 2019, il était de passage à la maison de la culture du Japon à Paris pour le 3eme volet de « 100 ans de cinéma japonais ».

Vous le savez, c’est un réalisateur que j’admire beaucoup depuis que j’ai découvert son film « Senses ». Il m’a marqué par son authenticité et sa volonté de mettre en avant l’intimité des sentiments et les préoccupations de la vie quotidienne des japonais.

Cette impression, elle s’est confirmée lors de mon entretien avec lui. Très abordable, posé, passionné et passionnant, il a pris le temps de répondre à toutes mes questions. L’interview a eu lieu pendant la projection de son film « Intimacies »,  dans la grande salle de cinéma de la maison de la culture du Japon.

Voici l’intégralité de notre entretien.

1) Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir réalisateur ? Avez-vous déjà envisagé une autre carrière que celle-ci ?

Quand j’étais à l’école, chaque fois que je devais écrire le métier que je voulais exercer dans l’avenir, je mettais fonctionnaire. Mon père est fonctionnaire, donc à l’époque je pensais vraiment que j’allais travailler dans l’administration. C’était rassurant car au Japon être fonctionnaire est considéré comme un métier très stable.

Mais quand je suis entré à l’université, je me suis inscrit au club de cinéma de ma ville et j’ai adoré ça. J’ai alors éliminé tous les métiers que je ne voulais pas faire et c’est le métier de cinéaste qui est resté.

« faire un film, c’est toujours un acte contradictoire entre la réalité et la fiction. A partir de cette contradiction comment peut-on toucher le public ? »

2) Lorsque vous avez étudié à l’université des arts de Tokyo, vous avez été l’élève de Kiyoshi Kurosawa. Que retenez-vous de son enseignement ? Qu’est-ce qui vous a transmis de sa vision du cinéma, si particulière car elle oscille en permanence entre le réel et le fantastique ?

C’est dans la partie le 3e cycle de l’Université des arts de Tokyo que K. Kurosawa a été mon professeur. Son cours était sous la forme de séminaires, en petit groupe de 6 personnes. Cela a créé une véritable proximité entre le professeur et les élèves et nous a vraiment permis d’échanger ensemble.

J’ai appris tellement de choses que je ne peux pas tout vous expliquer aujourd’hui.

Peut-être que la chose de la plus importante que j’ai appris grâce à lui, c’est que la caméra enregistre la réalité qui existe en face d’elle. Il existe une contradiction entre la réalité et la fiction. Il faut accepter que faire un film, c’est toujours la rencontre entre la réalité et une histoire. A partir de cette contradiction comment peut-on toucher le public ? C’est cette réflexion que j’ai appris grâce à lui.

3) Pour moi, ce qui fait l’originalité (et la beauté) de votre film « Senses », c’est justement qu’il ne raconte pas seulement une histoire. Il propose une expérience au spectateur qui est plongé dans l’intimité des sentiments des personnages. En ce sens, je pense qu’il s’apparente plus aux films de Robert Bresson et Éric Rohmer qu’aux films japonais actuels. Est-ce que ces réalisateurs français sont des sources d’inspiration pour vous ?

C’est vrai que ce sont deux réalisateurs que admire. Ils m’ont beaucoup fait avancer dans ma formation, d’ailleurs, je continue à voir leurs films et à apprendre grâce à eux.

Concernant mon cinéma, je suis touché que vous ayez perçu cette volonté d’effacer les barrières entre les acteurs et les spectateurs. En réalité, la raison pour laquelle je ne mets pas de barrières, c’est que je filme des personnes que j’ai appris à connaitre, hors champs, quand la caméra n’est pas allumée. Je filme des gens tels que j’ai envie de les voir, de les connaitre. Ce n’est pas seulement le jeu d’acteur qui compte.

Dans chaque film que j’ai réalisé,  j’ai essayé de montrer le charme de chaque personne, sa personnalité, à travers les images. C’est comme ça que je construis chacun de mes films.

« Avant le début du tournage du film « Senses », j’ai organisé un atelier pendant 6 mois pour apprendre aux acteurs amateurs comment interpréter leur rôle. En réalité, ce que l’on a appris pendant cet atelier, c’est comment écouter l’autre »

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4) Dans « Senses », il y une scène en particulier que je trouve magnifique, c’est la longue scène de la lecture. Je pense qu’il n’y a pas toujours besoin d’action ou d’effets spéciaux pour captiver le public. Comment avez-vous l’idée de cette scène et quelle est sa signification ?

Ma manière d’appréhender la réalisation, ce n’est pas juste pour raconter des histoires. Je veux montrer les personnes qui interprète des rôles dans cette histoire, c’est ça mon défi quand je fais un film.

Avant le début du tournage du film « Senses » (Happī Awā est le titre original), j’ai organisé un atelier à Kobe pendant 6 mois pour soi-disant apprendre comment interpréter un rôle. En réalité, ce qu’on a appris dans cet atelier c’était comment on peut écouter les autres. Dans cet atelier, il y avait 17 participants et une très bonne ambiance, ce qui nous a permis de créer une relation très profonde.

J’ai décidé de filmer chacun de ces 17 personnes pendant 2 minutes : il n’y avait aucun dialogue, chacun était juste la devant la caméra, sans rien dire. Ensuite nous avons regardé tous ensemble ces images et nous avons pu faire ce constat. Dans chaque séquence, il y avait quelque chose de pur et de très respectueux, donc j’ai compris que même sans aucune action on peut transmettre les émotions. J’essaie de transmettre la relation que nous avions créée à travers les images.

 « A partir du moment où je choisis un interprète au casting, je l’accepte entièrement. Même s’il ne joue pas bien sur le moment, ce n’est pas grave car je l’accepte tel qu’il est »

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5) Dans votre dernier film, « Asako », (et à la différence de « Senses » ou ce sont des acteurs amateurs), vous avez travaillé avec des acteurs professionnels et notamment avec une jeune star du cinéma japonais Masahiro Higashide.  Avez-vous dirigé de manière différente ?

Il y a une différence majeure entre travailler avec des acteurs professionnels et avec des acteurs amateurs. C’est le rapport au temps.

Pour le film « Senses » j’ai pu avoir le temps que je voulais pour préparer le film. D’abord à travers les ateliers que j’évoquais précédemment. Ensuite nous avons passé 8 mois pour le tournage. On a même tourné pendant le weekend. L’avantage d’avoir autant de temps, c’est que nous avons établi et développé notre relation. C’est quelque chose de très rare pour un film.

Pour le film « Asako »,  j’ai travaillé avec un acteur célèbre, Masahiro Higashide, qui appartient à une agence artistique. Donc il a son agent qui contrôle son emploi du temps et évidemment il ne pouvait pas m’accorder autant de temps.

Je souhaitais qu’il apparaisse à l’écran comme les comédiens qui ont joué dans « Senses ». Je dois dire que Masahiro a été extrêmement coopératif car il voulait que je fasse comme d’habitude. Pour cela, malgré son emploi du temps extrêmement chargé, il m’a donné une semaine entière pour les répétitions. Pendant cette semaines nous avons répété le scénario avec d’autres acteur et surtout ils se sont parlés entre eux donc ils ont établis une relation.

A partir du moment où je choisis un acteur ou une actrice au casting, ça veut dire que je l’accepte entièrement. Même s’il ne joue pas bien sur le moment, ce n’est pas grave car je l’accepte tel qu’il est. Donc je ne dirige pas vraiment (sourire).

 « Aujourd’hui, je connais les avantages et les inconvénients de ces deux cinémas (commercial et indépendant) donc j’essaie de tirer parti des bons côtés de chacun de ces deux formats »

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6) Je considère que vous êtes plus proche du cinéma indépendant japonais que du cinéma commercial.  Or, au Japon, on voit que les films indépendants ont beaucoup de difficultés à exister par rapport aux films à gros budgets. La production de films indépendants est-elle verrouillée par quelques grands studios (Toho, Toei…) qui laissent peu de place aux œuvres originales, notamment pour éviter tout risque financier. Partagez-vous ce constat ? quelles sont pour vous les différences entre le cinéma indépendant et le cinéma commercial ?

Je souhaite d’abord évoquer la différence de vitesse qui existe entre le cinéma commercial et le cinéma indépendant.

Pour la production commerciale, elle est avant tout marquée par la vitesse et des contraintes de calendrier, qui doit être définit à l’avance. Je pense que c’est un élément d’explication que les films se ressemblent.

Pour le cinéma indépendant, on ne sait pas du tout quand est-ce qu’on va finir le tournage. C’est beaucoup plus aléatoire. Parfois un film indépendant pour être tourné très rapidement,  et un autre va prendre beaucoup plus de temps. Puisque le calendrier n’est pas complètement fixe, chaque réalisateur conduit son projet à son propre rythme. Et le résultat est que les films ne se ressemblent pas du tout. Évidemment, il y a des films médiocres mais en même temps chaque film est particulier et a beaucoup d’originalité.

Aujourd’hui, je connais les avantages et les inconvénients de ces deux cinémas donc je ne peux pas dire si l’un est mieux que l’autre mais j’essaie de tirer parti des bons côtés de ces deux formats.

« dans le financement des films, il y a pour moi une question centrale sur le partage des recettes. L’évolution que je veux proposer, c’est un partage plus équitable »

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7) Est-ce que l’Etat japonais doit aider davantage la production de films ? Ne faut-il pas aussi faire évoluer, réinventer le mode de financement des films japonais (en suivant par exemple le chemin tracé par l’Art Theatre Guild) ? En France, il y existe un système d’aides publiques pour le cinéma. Pensez-vous que le Japon doit s’en inspirer ?

Évidemment les subventions publiques apportent de bonnes choses et j’aimerais que ce système existe aussi au Japon. Mais c’est une question assez délicate car je n’ai pas vu beaucoup de films français récents.

Le financement des films au Japon est pour moi aussi une question sur le partage des recettes. Je m’explique. Actuellement dans la réalité du cinéma indépendant, tous les réalisateurs que je connais ont un autre travail, alimentaire, et ne peuvent pas vivre de leur passion pour le cinéma. Les films réalisés de cette manière sont très beau parce qu’ils se sont les cristallisations de l’envie, de la passion de chacun mais ça ne veut pas dire qu’on peut vivre de ses films.

L’évolution que je veux proposer, c’est un partage plus équitable des recettes. Quand un film rencontre un grand succès, il faut que les recettes soient partagées par l’équipe et les acteurs et toutes les personnes qui ont participé à ce projet. L’idée est qu’un plus grand nombre puissent bénéficier du succès d’un film précédent pour vivre plus confortablement.

Mais pas seulement. Ce succès doit aussi permettre à ces personnes de choisir leur travail et de refuser des projets qui ne sont pas intéressants. C’est même quelque chose que je peux proposer au producteur de cinéma commercial.

Donc pour répondre à votre question sur les subventions en France, j’aimerais bien qu’il y ait plus de subventions au Japon mais aussi j’aimerais changer la structure du cinéma de manière à ce qu’il une meilleure répartition de la distribution des recettes.

« Je vous conseille vivement de visiter Kobe et Kanazawa  ! »

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7) J’aimerai bientôt retourner au Japon. Quels lieux me conseillez-vous de visiter ?

Je vous conseille vivement la ville de Kobe. Je trouve que c’est une ville très agréable. Il y a des montagnes et juste à côté la mer. Vous pouvez monter au sommet de la montagne pour admirer un magnifique vue sur la mer.

Il y a aussi beaucoup de petits quartiers très différents les uns des autres. Ce que j’apprécie vraiment dans cette ville c’est toute cette diversité, dans une distance assez limitée.

Une autre ville que j’aime beaucoup et que je vous conseille, c’est Kanazawa. Il y a de très bons fruits de mer ! Si vous avez déjà connu de nombreux sites touristiques au Japon, je pense que c’est la destination parfaite.

 

 

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