C’est le film japonais à découvrir absolument pendant les fêtes de fin d’année. « Le Maître du Kabuki » sort au cinéma en France le 24 décembre 2025. Il est réalisé par Sang-il Lee et distribué en France par Pyramide Films.
L’histoire du « Maître du Kabuki » (Kokuho est son titre japonais) est celle d’une passion exaltante et dévorante pour son art. Vous connaissez certainement le Kabuki qui est un art traditionnel japonais proche du théâtre dans lequel le dialogue alterne avec des parties chantées, et des intermèdes de danse.
L’histoire du film : Nagasaki, 1964 – À la mort de son père, chef d’un gang de yakuzas, Kikuo, 14 ans, est confié à un célèbre acteur de kabuki. Aux côtés de Shunsuke, le fils unique de ce dernier, il décide de se consacrer à ce théâtre traditionnel. Durant des décennies, les deux jeunes hommes évoluent côte à côte, de l’école du jeu aux plus belles salles de spectacle, entre scandales et gloire, fraternité et trahisons. Seul l’un d’entre eux deviendra le plus grand maître japonais de l’art du kabuki.
Ce film est sorti au cinéma au Japon le 6 juin 2025. Il a rencontré un immense succès (avec plus de 11 millions d’entrées) et il va représenter le Japon pour tenter de remporter l’Oscar du meilleur film international. En plus de cet article, voici le lien pour vous faire découvrir mon interview du réalisateur, qui, je l’espère, pourra vous éclairer sur ce film magnifique ou simplement vous donner envie de pousser les portes du cinéma pour plonger dans l’univers du Kabuki au Japon : https://japoncinema.com/fr_fr/mon-interview-du-realisateur-sang-il-lee/
La bande annonce :
3 raisons de voir le film LE MAÎTRE DU KABUKI au cinéma
1) Une histoire bouleversante, une quête de perfection incarnée tout au long d’une vie d’artiste


Le Maître du Kabuki raconte le prix humain de l’excellence artistique. Inspiré du roman de Shuichi Yoshida, il explore de manière aussi belle que dramatique les thèmes de l’amitié, de l’amour et de la rivalité entre les trois personnages principaux 50 années qui s’écoulent avec des réussites et des échecs.
Le premier est un maître Kabuki Hanjiro (interprété par la légende Ken Watanabe ), le deuxième est son fils Shunsuke (Ryûsei Yokohama) et le troisième est Kikuo (son disciple incarné par l’acteur Ryô Yoshizawa). Des relations faites d’admiration, de dureté qui montrent comment la tradition se transmet au prix de renoncements personnels, parfois cruels. Le réalisateur va assez loin dans la manière dont il capte les regards, les non-dits, les corps fatigués par des années de répétition. Cette dimension intime donne au récit une force émotionnelle profonde.
Une des qualités de ce film est la manière dont il montre cette lutte pour arriver au sommet dans cet art qui est impitoyable. Une lutte contre les autres mais surtout contre soi-même. On voit les personnages vieillir, douter, mais leur passion et la magie dans l’exercice de leur art restent intactes.
Un mot sur les acteurs qui dévoilent des performances extraordinaires. Mention spéciale pour Sōya Kurokawa que j’avais découvert dans le film « l’innocence » de Kore eda ». Les deux personnages principaux sont d’abord incarnés par de jeunes acteurs puis dans la deuxième partie du film par des acteurs adultes.
Le Maître du Kabuki se dévoile comme la fresque, de retournement de situation à la fois unique dans l’histoire du cinéma mais aussi avec des références.
J’ai pensé en particulier à deux chefs-d’œuvre qui sont les films « Adieu ma concubine » réalisé par Chen Kaige, Palme d’or au festival de Cannes en 1993, mais aussi à « Black Swan » de Darren Aronofsky avec Natalie Portman. On y retrouve la même puissance « destructrice » pour atteindre le sommet de son art. D’un artiste prêt à « mourir sur scène ».
2) Une plongée unique et sensorielle dans l’art du Kabuki


« Le maître du Kabuki » s’avère être une plongée sensorielle dans l’art du kabuki. Ce film brille par de nombreux retournements de situation. Les images, la mise en scène et la musique sont magistrales. Les représentations de kabuki sont sans doute le point fort du film. Nul besoin d’être un expert pour être impressionné. J’ai même versé quelques larmes à la fin du film tant la dernière scène de Kabuki est spectaculaire et émouvante.
Le Kabuki est centré sur le jeu des acteurs en même temps spectaculaire et codifié, il se distingue par un maquillage élaboré et la mise en scène des histoires. Cet art est étroitement lié à la culture et l’histoire du Japon. Les onnagata (littéralement « rôle féminin »), sont des acteurs masculins interprétant des rôles féminins au théâtre kabuki. Ce genre est apparu en 1629, suite à l’interdiction faite aux femmes de jouer dans les représentations de kabuki. La maîtrise du rôle d’onnagata requiert l’apprentissage de nombreuses techniques spécifiques. Raffinement dans leur sensualité, elles offrent une représentation androgyne de l’altérité, ils expriment sur scène une fragilité magnétique, oscillant entre identité jouée et vérité ressentie.
Ce film ne se contente pas d’utiliser le kabuki comme décor exotique, il en fait la matière même de sa mise en scène. Chaque geste, chaque pose codifiée, chaque costume est filmé avec une attention presque tactile. Le spectateur devient le prolongement de la scène, révélant la discipline, la beauté et la rigueur extrême de cet art ancestral. L’impression d’immersion est totale.
Les onnagata sont ces acteurs qui jouent des rôles féminins. Leur androgynie est un subtil équilibre de sensualité, de spectacle chanté mais aussi de pudeur et de retenue. Sur grand écran, les couleurs, les maquillages et la lenteur cérémonielle prennent une ampleur hypnotique. C’est une expérience que le petit écran ne peut pas restituer pleinement.
Dans sa loge, Hanjiro, le maître, laisse le pinceau glisser sur son visage immobile, traçant le masque comme on invoque un esprit ancien. Une scène de répétition montre son corps figé dans une pose parfaite, tandis que le temps semble suspendu autour de lui. Plus tard, sur scène, lorsque le rideau se lève, Hanjiro apparaît comme une figure mythologique, sculptée par la lumière. La caméra épouse la lenteur de ses gestes, leur précision presque inhumaine. Au cinéma, chaque mouvement devient une prière silencieuse adressée aux siècles passés.
A ses côtés, Kikuo, son disciple, apprend que le savoir ne se donne pas, il se conquiert dans la douleur. Une scène bouleversante montre Hanjiro détourner le regard après une performance imparfaite, condamnant Kikuo à un silence plus cruel que la colère. La nuit, seul dans le théâtre vide, Kikuo répète jusqu’à l’épuisement, son ombre se brisant sur le plancher. Lors d’un repas familial, un simple refus du maître suffit à faire vaciller toute une vie. Le film transforme cette relation en tragédie muette, où l’amour passe par la rigueur.
Plus le film avance, plus la part de la prestation scénique devient importante.
Les scènes que j’ai préférées sont l’histoire de la « demoiselle Héron ». Et surtout celle du « double suicide à Sonezaki » où les thèmes du double sont illustrés par une superbe mise en scène. Dans cette pièce, les personnages mettent leur vie en jeu par amour, ce qui sera le cas pour Shunsuke et Kikuo dans les dernières scènes. On découvre que la relation sur scène entre Shunsuke et Kikuo en coulisse fait écho à leur vie personnelle.
À la fin du film, Kikuo est qualifié de trésor national du Japon. C’est par cette reconnaissance qu’il atteint le sommet de son art.
Sur la performance de ses acteurs, le réalisateur Sang il Lee a déclaré : « je ne voulais pas employer d’acteurs professionnels de kabuki pour doubler Ryō Yoshizawa et Ryūsei Yokohama (Shunsuke) lorsqu’ils danseraient. J’étais convaincu que faire interpréter les scènes de kabuki par ces deux acteurs eux-mêmes donnerait vie à l’adaptation cinématographique et la rendrait authentique. Ils ont été formidables et ont comblé toutes mes attentes. Le personnage de Kikuo est en quête, tout au long de sa vie, d’un « paysage » insaisissable. J’en suis venu à croire que c’est ce même paysage que Ryō Yoshizawa a dû entrevoir en affrontant ce rôle exigeant. »
3) Une analyse de la société japonaise à travers les thèmes de la transmission et du sacrifice

Quand on voit l’affiche du film, c’est vraiment le Kabuki qui est montré dans toute sa splendeur. Mais le réalisateur veut que l’on se concentre pas seulement sur l’aspect Kabuki car c’est aussi un film sur les rapports familiaux, sur l’amitié, la rivalité, le dépassement de soi. Je pense qu’il y a quelque chose de plus universel sur la manière de vivre des gens à l’avenir. C’est un film qui parle de « l’ombre et la lumière » autour d’une carrière d’artiste.
Ce film s’inscrit dans une lignée de grands drames japonais, où le temps, la patience et la retenue sont essentiels. La mise en scène privilégie les plans longs, le rythme lent et une grande sobriété narrative. Cette approche demande une vraie disponibilité du spectateur (le film dure 3 heures), mais elle est récompensée par une immersion totale du début à la fin.
Dans le petit monde du kabuki, seule importe la lignée. Mais pour Shunsuke, la voie tracée peut aussi se transformer en calvaire : l’héritier doit faire montre d’un talent à la hauteur de la réputation paternelle. Comme sur scène, le Destin pèse de tout son poids sur les corps meurtris des deux protagonistes.
Shunsuke (Ryûsei Yokohama) devra se montrer à la hauteur de son père pour assurer la transmission. Ce dernier lui confie d’ailleurs : « Le sang qui coule dans tes veines te protégera toujours. », une phrase encore plus vraie au Japon que partout ailleurs dans le monde.
À l’opposé, Kikuo (Ryô Yoshizawa), ne pourra jamais changer ses origines, lui le fils de yakuza. Il va tout faire pour aller au bout de sa passion et des émotions. Tout donner au risque de tout perdre.
Le thème de la colère intériorisée, comme le réalisateur Sang-il Lee que l’on trouvait déjà dans son film Rage (Ikari).
On pense aussi aux règles du bushidō (le code d’honneur samouraï). Le Maître du Kabuki transpose le bushidō du champ de bataille à la scène, en faisant de l’art un lieu de discipline, d’honneur et de maîtrise de soi. Le lien maître-disciple y fonctionne comme un serment samouraï, fondé sur l’obéissance, le silence et l’acceptation de l’épreuve. Il célèbre le sacrifice de soi et l’effacement du maître comme forme ultime de beauté, cœur même de l’éthique du bushidō.
Enfin, je termine cet article sur une référence à la philosophie, celle du Kintsugi. Le Maître du Kabuki rejoint l’esprit du kintsugi en montrant des corps et des âmes façonnés par la fracture, où l’erreur et la souffrance deviennent sources de beauté.
La relation entre Hanjiro et Kikuo révèle que la transmission traverse des ruptures, refus, silences et même des humiliations. Mais rien ne peut détruire la volonté de l’élève, elle se reforme encore plus forte. Comme une céramique que l’on répare délicatement, sans compter le prix des efforts, ce film suggère que l’art du kabuki naît précisément de ces fêlures rendues visibles et assumées, qui forgent un avenir où toutes les lignes n’étaient pas traçées.
L’affiche du film

https://japoncinema.com/fr_fr/les-films-japonais-a-voir-au-cinema-en-2025/
https://www.youtube.com/@japoncinema