Critique du film – Wet Season

« Wet Season » est un film du réalisateur Anthony Chen. Il est sorti au cinéma en France le 19 février 2020.

Distributeur en France : Epicentre Films

De quoi parle ce film ? : Des trombes d’eau s’abattent sur Singapour. C’est la mousson. Les nuages s’amoncellent aussi dans le cœur de Ling, professeur de chinois dans un lycée de garçons. Sa vie professionnelle est peu épanouissante et son mari, avec qui elle tente depuis plusieurs années d’avoir un enfant, de plus en plus fuyant. Une amitié inattendue avec l’un de ses élèves va briser sa solitude et l’aider à prendre sa vie en main.

1)Un portrait de femme

Critique du film - Wet Season

« Wet season », c’est avant tout le portrait d’une femme dans la société Singapourienne. Elle est d’origine Malaisienne et fait tout pour s’intégrer. Ce que j’ai le plus apprécié, c’est que le déroulement du film laisse au spectateur de sa faire son opinion. Tout est suggestion, inclinaisons, évocation. De sa lutte pour exister et se faire une place, elle ne tire que des déceptions. 

Celles d’une professeure qui enseigne le chinois à des élèves qui ont d’autres préoccupation que d’étudier cette matière. Pleines de convictions, elle donne son maximum pour leur permettre de réussir le bac. Mais les élèves ont d’autres préoccupation que cette matière et n’hésitent pas à quitter la salle en plein controle.

Celles d’une femme qui attend son mari et donne tout pour construire une famille. Lui rentre toujours tard le soir, trop occupé par son travail.

Celle qui à la maison doit s’occuper de son beau père qui est âgé et affaibli (il ne parle plus). Elle s’occupe de lui le mieux possible et laisse regarder les films d’arts martiaux qui le passionnent.

Malgré tout ses efforts dans sa volonté de transmission, elle ne reçoit aucun retour et se heurte à cette société qui semble formater les individus.

Ce qui est intéressant c’est la position adopté par le réalisateur. Il présente l’histoire d’une femme dans un univers quasi-exclusivement masculin. Seule sa collègue professeur est aussi une femme mais elle se comporte comme un homme.

Surtout on se rend compte à quel points tous ces hommes sont formatés. Chacun à sa manière.

En effet, le déroulement du film montre la descente aux enfers de Ling. Une pluie de mauvaises nouvelles va s’abattre sur son destin. Comme si ses agissements étaient contre nature et que la nature lui envoyait des signes de ces erreurs. Pourquoi elle a choisit d’enseigner dans cette école qui dénigre son travail ? Pourquoi elle a épousé ce mari qui la délaisse ? Même cet élève qui va lui apporter de la légèreté, elle va s’investir à perte.

Dans ce océan de morosité, seul le grand père est un pilier. Un beau moment du film, lorsque il lui montre l’idéogramme « sourire » pour lui redonner du courage.

2)Un film militant

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« Wet Season » est aussi un film militant.

Elle dénonce les manifestations en Malaisie. Les écarts de richesse, la corruption, présente. Elles apparaissent toujours en arrière plan, derrière l’écran de télévision. Seuls le père de son mari et sa mère semblent s’en préoccuper. Consciente de la précarité et de l’instabilité qui règne en Malaisie, sa mère l’encourage même à rester à Singapour, à persévérer pour assurer sa place. Mais est-ce vraiment cette société moderne, pleine de nouvelle croyances et dont l’anglais est devenu le symbole qui correspond à son identité ?

A priori, le problèmes semblent se trouver en Malaisie. En réalité, c’est plutôt l’inverse.

La meilleure illustration est sans doute l’utilisation de deux langues dans le film : le chinois et l’anglais.

On constate que l’anglais est en vogue à Singapour, alors les élèves préfèrent parler en anglais (un écrit même son prénom en anglai sur sa copie : Peter Chan 🙂 Pour eux, l’examen de chinois, ça ne compte pas.

L’autre exemple est cette discussion totalement folle avec sa collègue. Ling lui parle en chinois et Mme Chew lui répond toujours en Anglais. Un autre exemple, Mr Gan, le prof de math qui se la raconte un peu. Tous les scientifiques ont une image négative du chinois.

Je ne connais pas assez bien la société à Singapour mais je constate que c’est un thème cher au réalisateur et qu’il est très bien abordé dans le film. ( il pourrait d’ailleurs être transposé dans un autre pays). De manière très subtile.

Aujourd’hui à Singapour, les trois quarts de la population sont d’origine chinoise, contre seulement 10% de Malais qui sont donc en minorité. Dans les écoles, les cours ont lieux en Anglais. Le Chinois est comme un cours de langue. Tout est fait pour inciter à parler anglais. C’est paradoxal car la majorité de la popualtion est d’origine chinoise et délaisse donc sa langue d’origine au profit de la langue des affaires. Pire la langue chinoise est dénigrée et c’est ce que dénonce le réalisateur.

On remarque ainsi plusieurs références à la culture Malaisienne. Le réalisateur réhabilite le Durian, ce fruit dont l’apparence st exotique et dont la particularité réside dans l’odeur nauséabonde qu’ils dégagent aussitôt découpés. Les Arts martiaux sont aussi très présents. Le beau père les regardent à la TV. Les poster de Jackie Chan dans la chambre du jeune homme qui pratique également. Les chorégraphies sont très impressionnantes.

Ce sont ces éléments de la culture Malaisienne qui donnent vie au film. En même temps, ils peuvent être vu comme un source de transgression culturelle. De la même manière la relation entre la professeur et son élève comme une forme de transgression morale face à l’archétype forgé par la majorité de la société à Singapour.

3)Un réalisation soignée, pleine de sensibilité :

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Anthony Chen est un réalisateur singapourien. Il a été révélé par son court métrage Ah Ma (Grandma) qui a obtenu une mention spéciale à Cannes en 2007 puis au festival de Cannes en 2013 par son premier long-métrage Ilo Ilo (caméra d’or à la Quinzaine des réalisateurs). Il a étudié en Angleterre, à la National Film and Television School.

Certains aspect de la réalisation m’ont fait penser à Kore Eda. Cette volonté de plonger au coeur d’une société, avec cette sensation de perte d’équilibre que seul l’abandon de la pensée semblent soulager.

Voici 3 illustrations des plans qui m’ont le plus marqué. A chaque fois, la sensibilité est palpable :

Le plan large lors de l’Arrivée de Mme Ling dans le gymnase du lycée Yang Guang.

Certains plans dans la voiture. Elle est très présente pour marquer le mouvement dans la vie de la jeune femme. Le réalisateur joue subtilement avec son espace et ses perspectives. La caméra bouge en fonction des émotions de Mme Ling.

Le plan que j’ai préféré est lorsque la caméra placé à l’arrière de la voiture. Le spectateur est dans le rôle du passager. On ne voit le visage de Mme Ling que dans le rétroviseur. Quand elle apprend la mauvaise nouvelle, elle s’arrête. Dehors la pluie tombe et l’on voit les essuies glaces comme la métaphore pour effacer ses larmes qui ne coulent pourtant pas. Un autre plan dans le rétroviseur est cette scène cruciale ou elle surprend son mari.

Enfin le plan dans l’ascenseur entre Mme Lim et Kok Wei Lun. Deux « déménageurs » vont rentrer et masquer une partie du plan. Cet effet (et la scène qui en découle) est génial.

Le téléphone est très présent. On l’entend sonner et les conversation sont courtes, comme pour marquer la distance entre les gens.

J’apprécie aussi la mise en valeur de certains éléments qui font partie de la culture commune entre Singapour et la Malaisie.

4)Un couple qui marche à contre temps :

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A travers le personnage de Ling, le film raconte l’histoire croisée de deux hommes. Le mari et l’élève.

Son mari avec lequel elle n’arrive pas à avoir d’enfants. C’est un couple qui marche à contre temps.  Le symbole est cette pluie qui se met à tomber lorsqu’il abandonne sa femme pour aller jouer au golf. Il se détache inéluctablement et délaisse son épouse.

Sur sa manière d’aborder le couple, j’ai retrouvé un peu du cinéma de Kiyoshi Kurosawa. En particulier cette sensation de vide intérieur (comme dans le film « Cure »). Comme dans de nombreux films japonais, on a l’impression que plus la douleur est violent, plus elle est contenue.

Le réalisateur intègre quelques touches d’humour, parfaitement distillés pour rendre un peu de légèreté à ce sujet lourd et triste.

Un phrase stupéfiante « la livre strerling a chuté, ma journée a été chargé » sur un ton froid qui l’est tout autant pour justifier son absence à son opération.  Le regard de sa femme après est génial. Ici donc aucune excuse mais on sauvegarde toujours les apparences.

Vous verrez aussi « Whoofy » le petit chien tirer la langue et secoue la tête sur tableau de bord.

5)Une famille recomposée :

Elle cherche à en construire une. Elle se lie progressivement d’amitié avec son élève Yang Guang. Le seul  qui s’intéresse à ses cours de Chinois est aussi passionné par les arts martiaux).

Lors du championnat national d’art martiaux.  remporte la médaille d’or. Mais ses parents ne sont pas venu le voir. Seul Ling et son beau père sont venus. A ce moment, le film se dévoile sur de magnifiques scènes qui unissent cette famille recomposée, le grand père, la femme et l’élève.

Un des plus beau moment du film est cette scène ou l’on voit le vieil homme dessiner le caractère « aider » sur le bras du jeune homme. Lui qui ne peut plus parler, montre par le contact de leur peau que l’écriture est un lien entre les générations et marque l’identité d’une culture.

En réalité, le film est plus complexe. Il mêle les histoires et nous offre différentes lectures. Aussi avec ces trois mêmes personnages, on peut avoir une vision différente de leur lien.

Le grand père serait l’enfant dont elle s’occupe constamment (elle lui donne à manger, à boire…). Elle fait ce rêve étrange après sa dernière scène.

L’élève (Kok Wei Lun) serait le mari absent. Le film est aussi celui d’une histoire d’amour. De sa naissance jusqu’à la séparation. Lorsque Kok Wei Lun devient son amant, prend sa place dans la voiture, se dispute avec elle du mari. Une histoire d’amour que l’on sait impossible et dont l’issue révèle un besoin d’affection et de compréhension. Lui est juste un adolescent « under construction ». Il est passé maitre dans les technique en art martial mais la vie et l’amour sont un tout autre apprentissage tout au long de la vie. Elle une femme brisée par la vie.

Dans ces relations inconstantes ou on perd constamment ses repères, la pluie (pourtant si temporaire en Asie) est la seule constante, comme la tristesse Mme Lim. Et pourtant le titre, en forme de message d’espoir n’indique que ce n’est finalement qu’une saison et que le soleil revient toujours après la pluie.

Au final, on constate aussi délitement des liens familiaux. Le mari ne veut pas voir sa sœur et préfère aller jouer au golf. La famille qui se déchire déjà pour l’héritage.

La voiture est très présente pour marquer le mouvement dans la vie de la jeune femme. Les arrêts parfois brutal du véhicules sont autant de métaphores des stop qui surviennent dans sa vie. Mais elle continue toujours d’aller de l’avant. D’ailleurs dans l’avant dernière scène, elle a échangé la voiture contre un train. Elle se laisse guider pour aller retrouver sa mère qui est finalement la seule à prendre véritablement soi d’elle.

De retour chez sa mère, en Malaisie à Taiping, la dernière scène du film est très belle, rassurante et réjouissante.

Conclusion : « Wet Season » est une belle surprise. Un film ou se rencontre magnifiquement le besoin de transmission (d’une femme) et la volonté d’apprendre (de son élève). On s’aperçoit que ces thèmes se transposent dans la vie quotidien. Un portrait de femme forte qui ne baissent pas les bras face à un déluge de mauvaises nouvelles.

J’ai découvert ce réalisateur et j’ai été conquis par sa manière de filmer, pleine de délicatesse, sans artifices. Une réalisation plein de de délicatesse sur les relations de couple et les liens générationnels. Pendant tout le film, la sensibilité est palpable. Un réalisateur qui dénonce l’évolution de la culture à Singapour vers toujours plus de modernité mais au détriment de son histoire et de son identité.

Je retiens surtout cette volonté d’ouverture, de ne pas s’enfermer dans des schémas qui ne nous correspondent pas. Il faut vivre ses expériences, sans se préoccuper du regard d’autrui et de la société. C’est de la passion que naissent les envies et se réalisent les désirs  Un film plus hédoniste qu’il n’y parait !

Critique du film - Wet Season

 

 

 

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