« Little Zombies« (We are Little Zombies est le titre original) est un film réalisé par Makoto Nagahisa. Il sera disponible sur OCS à partir du 23 juin 2021
L’histoire : Leurs parents sont morts. Ils devraient être tristes, pourtant ils ne pleurent pas. A la place, Hikari, Ikuko, Ishi and Takemura montent un groupe de rock explosif ! Ces quatre adolescents que le chagrin n’accable pas, vont trouver ensemble une nouvelle voie, celle de la musique.
« Un jeu de rôle (JRPG) sur les traces des sentiments disparus »
Sans détour, j’ai apprécié ce film. D’abord parce que ça fait toujours du bien de découvrir quelque chose de différent, et d’hyper créatif.
Oui, je trouve que c’est ça qui caractérise le mieux Little Zombies, son audace et son énergie.
Le point de départ, c’est l’enterrement des parents d’Hikari 13 ans. Déprimant ? Pas forcément. Au fur et à mesure que se dévoile l’histoire du jeune garçon, on apprend que ses parents étaient tout sauf attentionnés avec lui. Sans réelle connexion avec eux, il s’est créée un monde virtuel grâce à ses jeux vidéos. Lors de leurs funérailles, il n’éprouve donc aucune tristesse.
Mieux, il fait la rencontre de 3 autres enfants qui sont dans la même situation que lui. Ils vont devenir amis et conclure un pacte. Et si on participait tous ensemble à un jeu d’aventure ? Finalement, la vie n’est rien d’autre qu’une aventure.
Ce film est un rapprochement inédit entre cinéma et jeux vidéo. Je trouve cette approche super intéressante car comme le cinéma, les jeux videos permettent de raconter les histoires. Mais en plus, ils permettent de participer de l’histoire, et si je poursuit le parallèle avec le cinéma, d’être acteur. (Ou au moins ils en donnent l’illusion car tout est programmé).
On appuie sur la touche START de notre vieille console 8-bit et on ne sait pas ou on va s’arrêter.
Comme dans un jeu vidéo, le film est ponctué d’obstacles à franchir, d’objets à récupérer (des instruments de musiques) pour franchir les niveaux et atteindre les boss. Du début à la fin, l’histoire est complètement débridée, pleine de rebondissements. On avance vite dans le jeu et on ne s’ennuie pas une seconde.
On explore d’abord le passé des enfants puis l’on découvre leur futur. Eux restent concentrés sur leur présent. Ils sont les little Zombies. Ils ont une vie de merde, ils ne ressentent rien, alors ils vont profiter de tout !
Vous l’avez compris, une première lecture du film est son coté totalement WTF, complètement déjanté. Une forme de grand défouloir, à travers ce déferlement d’énergie et de créativité qui va toujours de l’avant. Sa richesse, c’est qu’il offre un second degré de lecture, tourné vers la réflexion que j’ai encore plus apprécié. Il nous permet de recevoir, de faire le plein d’émotions. A travers l’exploration de l’apprentissage dans l’enfance et le passage à l’âge adulte.
Le message est le suivant : dans la vie on a tous connu ces situation ou l’on est insulté, rejeté, moqué. A ces moments, on est souvent seul. Il faut aller vers ceux avec qui on trouve des points communs.
Les 4 ado, leur point commun, c’est la mort tragique de leurs parents. Un traumatisme qu’ils vont décider de surmonter ensemble. Le film montre de manière très subtile comment leur passé est connecté les uns aux autres.
Illustration : Hikari est confronté à son père qui frappe sa mère. Il a le courage de l’affronter en combat singulier mais il se fait défoncer. Physiquement, il n’est pas de taille. J’y vois un lien avec l’histoire d’Ishi qui nous enseigne que les gens forts ne sont pas ceux qui ont de la force physique mais ceux qui prennent des décisions.
La notion de force et de faiblesse est un concept relatif. Et tout le film tourne autour de cette notion, cette théorie de la relativité. Elle s’applique à des tous les concepts fabriqués par la société dans la quelle nous vivons : la famille, l’argent, la célébrité. Le film montre parfaitement que les émotions qui en découlent sont en grande partie aussi dictées par la société (par exemple, l’argent doit apporter le bonheur). Alors qu’en réalité tout est une affaire de relativité, mieux de libre arbitre. Le film est génial pour cela.
Il va encore plus loin. Il joue avec les mots, le langage qui est la base de toute société. Là encore il montre la relativité. J’ai relevé cette illustration avec l’utilisation du mot : Shine (crève en japonais)qui est écrit sur le bureau d’Hikari, comme une menace de la part des autres élèves. Hé bien, lui va voir écrit Shine (brille en anglais) et s’est ce qu’il va faire. Il fait application de la relativité.
« Une aventure en quête d’indépendance et d’humanité »
La scène centrale intervient à la moitié du film. On assiste à la première performance du groupe LITTLE ZOMBIES. Une prestation improbable dans une déchèterie et incroyable qui va leur permettre de devenir célèbre. Un scène filmée à l’iphone qui opère une bascule dans le récit. Alors que l’on était tourné vers leur passé (et leurs échecs à répétition), on bascule d’un coup vers leur succès et leur ascension sociale.
Ils deviennent célèbres, jouent devant des foules énormes (jusqu’à avoir leur affiche sur le célèbre studio 109 à Shibuya) et vont désormais de l’avant. Ils sont même les invités d’une émission de télé dans un décor assez dingue (je ne vous en dis pas plus). Ceux qui s’était moqués d’eux. Les adultes que les avaient exploités, les proches que les avaient abandonnées. Ou sont-il maintenant ?
Le message est puissant, autant individuel que collectif et ce film apporte des réponses. Comme Ikoku le fait tout au long du film, Elle nous photographie.
Une photographie individuelle : à travers l’exploration du thème du passage à l’âge adulte. Quand, ou, comment « couper le cordon » ?
Une photographie collective : sur le conflit des générations. Comme se faire écouter et comprendre dans un contexte qui ne nous laisse aucune chance.
Sur ce point, Little Zombie est un hymne à la jeunesse. A lutter contre et ne pas répéter les erreurs des parents (comme ce poissons combattant au début du film). C’est à la jeunesse de faire évoluer le monde. Quand est ce que l’on devient adulte ? Comment l’on devient adulte ? Et surtout, quel adulte on veut devenir ? A l’image du titre de leur album. « Qui les as tués », c’est à eux de trouver les réponses que ni leur parents ni la société ne peut/veut leur donner.
Makoto Nagahisa pose aussi un regard lucide et critique sur la société de consommation, l’industrie du divertissement. Notre aliénation devant nos portables (vous verrez la scène géniale zombie station). Même si c’est parfois brouillon, il y a plein de bonne idée et de créativité dans ce film.
Little zombies est un film qui frappe fort par son réalisme. Un coup de poing qui l’on peut prendre directement ou tenter de stopper mais dont la trajectoire est tracée pour toucher.
C’est nous qui décidons de le donner ou de le prendre. Comme dans un jeu vidéo, chacun a le pouvoir d’appuyer sur NO ou YES lorsque GAME OVER apparaîtra à l’écran.
D’ailleurs, il est important de parler du rôle joué par la console d’Hikari. Ce n’est pas seulement une console portable. Il y a une vrai symbolique derrière cet objet (les mots et les choses dirait Michel Foucault). Elle a remplacé ses parents. Elle va jouer un rôle essentiel dans son passage à l’âge d’adulte. On parle beaucoup de l’influence du jeux vidéo chez les jeunes, avec souvent une connotation péjorative. Est ce le cas ici ?
Spoiler : Pas du tout. A la toute fin du film, sur le lieu de l’accident de ses parents, on voit un plan fixe qui montre la console posée dans la nature avec quelques fruits devant. J’y vois le symbole du besoin, qui évolue avec le temps. La nature, le monde réel est placé au même niveau que la console, création de l’homme pour recréer un monde artificiel (où l’on ne meurt pas réellement et l’on a tojours la possible de recommencer). Peut être pour montrer leur complémentarité pour grandir…Le jeu vidéo a joué son rôle, il l’a aidé vers son passage à l’âge adulte.
Qui sont les 4 little Zombies ?
KEITA NINOMIYA (HIKARI TAKAMI) : Né en 2006, il commence sa carrière en 2011. Il tourne notamment pour Kore-Eda en 2013 dans le film TEL PÈRE TEL FILS, récompensé du Prix du Jury à Cannes.
MONDO OKUMURA (YUKI TAKEMURA) : il commence à dessiner à l’âge de trois ans et travaille comme portraitiste le week-end alors qu’il n’est encore qu’à l’école élémentaire. Il publie en 2014 son premier recueil d’illustrations intitulé MONDO KUN (éditions Parco). Il a notamment collaboré avec les magasines Yore et Bungakukai, le journal tokyoïte Shimbun, le poète Shuntaro Tanikawa, et l’activiste nonne bouddhiste Jakucho Setochi. Mondo Okumura expose régulièrement ses créations à travers le monde. C’est sa première apparition dans un film.
SENA NAKAJIMA (IKOKU IBU) : Elle commence sa carrière dans le mannequinat et fait la couverture de Commercial Photo et Popeye. On peut aussi la voir dans le film THE BASTARD AND THE BEAUTIFUL WORLD de Sion Sono en 2018.
SATOSHI MIZUNO (ISHI SHINPACHI) : Né en 2005, sa carrière débute alors qu’il n’a que deux ans. Il apparaît ensuite
dans plusieurs séries télévisées, films et publicités.
« Une expérience visuelle et sonore hors du commun »
Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un film me faire autant sortir de ma « zone de confort ». La réalisation, la mise en scène, la photographie, la musique, tout est complètement fou. Après avoir repris mes esprit, je tente de structurer mon pour vous raconter ce que j’ai vu, en deux points.
Un jeu vidéo en réalité augmentée : L’idée des 4 enfants, c’est de faire comme s’ils étaient les personnages d’un jeux vidéo d’aventure (RPG pour les connaisseurs) mais dans la réalité. Le fil rouge, c’est donc leur parcours avec des obstacles, des niveaux, des objets à récupérer et des boss de fin.
Avec ce contraste qu’Hikari est fan de retro gaming et ne quitte pas sa portable. imaginez ce mélange entre réalité et retro gaming. Les récents possesseurs d’une PS5 apprécieront. Tout est fait pour nous mettre dans l’ambiance : les effets de lumières, la musique, les pixels…
Mais ce que j’ai adoré cette scène à partir d’un plans aérien, on l’on voit les 4 enfants se suivre comme dans secret of Mana. L’humour fait même que certains se trompent de chemin. J’espère que vous avez la réf !
La chiptune music (genre musical caractérisé par des sons synthétisés créés par ordinateur ou par la puce audio d’une console de jeu) est très présent. Pour les créations sonores, l’équipe s’est principalement inspiré des sons des Nintendo des années 1980 et l’a adapté avec des tempos différents pour lui donner cet aspect pop et nostalgique. J’avoue que si j’ai trouvé cet effet cool au début, il est un peu gênant à la longue.
Un laboratoire expérimental. C’est l’impression que j’ai eu devant ce film. Celle d’un volcan en éruption. C’est simple, il y a tellement d’effets qu’aucune scène ne se ressemble. Le risque est que la forme prennent le pas sur le fond (c’est le cas par moment). Mais globalement, il réussi la prouesse de conserver une cohérence artistique.
Pour vous donner une idée, je vois le tout comme une poupée russe, avec plusieurs effets, manière de filmer venant s’imbriquer dans chaque scène. C’est surprenant au début, et je trouve assez déstabilisant tout au long du film (certains effets sont réussis, d’autres moins). On voit beaucoup de gros plans, des plans avec un effet Fish eyes, la caméra en contre plongée (pour se mettre au niveau des enfants), le traditionnel Traveling, des plans larges, en hauteur, des caméras de surveillances, une dans le frigo, et même une dans le verre de jus d’orange.
On a vraiment l’impression que la caméra est partout. Certaines scènes ont été filmées en mode Vlog ou reportage. Comme dans un konbini, dans ce film, il y a de tout, à boire et à manger (Boeuf sauté, jus d’orange, lait…). Le rendu visuel m’a parfois donné une impression de trop plein.
C’est certain que ce film ne peut pas plaire à tout le monde mais il faut saluer une véritable prise de risque. Inclassable comme les réalisations de Sono Sion dont la parenté et/ou l’inspiration parait évidente. Il faut donc parfois s’accrocher mais c’est une belle expérience cinématographique.
Voici les plans que j’ai préféré :
– Au début du film, le plan aérien qui suit le groupe de 4 à la manière d’un Jrpg. J’ai immédiatement pensé à secret of mana.
– Un autre plan génial à la 43 min qui se répète encore et encore. Puis le ballon s’envole. Il y a quelque chose de vraiment artistique dans cette scène.
– J’ai trouvé aussi particulièrement interessant, ceux qui sont directement liées à nos sens. Par exemple, une scène est en noir et blanc pour illustrer la vision sur le monde, sans couleur, gris. Une autre sur l’ouïe branché sur courant alternatif.
– Une autre scène magique est celle de la « zombie station » dont je vous parlais un pue plus haut.
Enfin, pour moi la plus belle scène du film est la dernière (avant le générique car il y a une scène post générique). Attention spoiler : on voit les enfants sur le lieux de l’accident des parents d’Hikari. En face du mont fuji. Ce dernier plan large est aérien et s’éloigne progressivement. C’est la fin du jeu vidéo. Chacun peut désormais tracer son chemin. Zombie oui, mais vivant !
Coté références, à la fin du film j’ai pensé à Evangelion. Vous vous souvenez des célèbres épisodes 25 et 26. Vous verrez un lien de parenté évident. D’ailleurs Shini s’appelle aussi Hikari (la lumière, au sens de lumineux en japonais).
IL y a aussi d’autres références comme celle à la tour de Babel, Le château de Kafka. le héro essaie de rejoindre le château malgré la neige mais il n’y parvient jamais.
Quelques précisions sur le travail de réalisation :
Makoto Nagahisa a passé plusieurs semaines à créer le storyboard et le storyboard vidéo afin de déterminer les angles de caméra. Le producteur Yokoyama remarque “Nous étions capables de visualiser l’importance et la mise en place de chaque scène, ce qui nous a aidé à calculer le budget et à nous faire une bonne idée des images qu’avait en tête le réalisateur.” Makoto Nagahisa pointe l’importance du storyboard vidéo : “Je pouvais voir ce qui fonctionnait ou non. J’avais déjà décidé des angles si bien que nous n’avions pas besoin d’expérimenter sur le plateau. D’autant plus que nous avions déjà un temps restreint pour le tournage.”
Le tournage et la photographie :
Le tournage a débuté le 23 février 2018 au Stade Ajinomoto de Chofu et la première scène à avoir été tourné est celle où le quatuor prend le taxi. Hiroaki Takeda, qui était déjà en charge de la photographie sur le court- métrage GOLDFISH, a de nouveau fait partie de l’aventure. “J’ai tourné les scènes en me basant sur le storyboard, ce qui m’a facilité la tâche, tout en me permettant de proposer diverses interprétations au réalisateur. “Une de ses propositions a été de créer sur plateau les effets spéciaux avec une méthode analogique au lieu de les créer en post-production pendant le montage. Dans la séquence de rêve d’Hiraki, le cadrage est flou, une des méthodes mise en place en direct par Hiroaki Takeda. Il a créé ce flou en plaçant une lentille sur la caméra, une lentille qui a la correction des lunettes portées par Hikari.
Pour la scène où on dirait que quelqu’un regarde à travers une paille, il a attaché un tube géant à l’objectif de la caméra. Hiroaki Takeda est resté fidèle à ses convictions : “les prises analogiques ne peuvent pas être reproduites au montage.” Le tournage a duré deux mois et s’est conclu le 30 avril avec la scène de fin où les quatre enfants marchent dans la prairie.
Conclusion : Visuellement explosif, Little Zombie est un film audacieux, qui déborde de créativité et d’énergie. En s’appropriant les codes du retro gaming et en le mélangeant à ceux de la musique et du cinéma, il livre une approche inédite de ces arts pour raconter les histoires mais aussi pour changer le cours de l’histoire. Il délivre une jeunesse japonaise qui ne berce plus d’illusions et qui n’a pas peur de prendre des risques et d’aller de l’avant. Un film dont je garderai un souvenir ému.
Critique du film LITTLE ZOMBIES – Makoto Nagahisa (2021)