Critique du film Les Bonnes Étoiles - Hirokazu Kore eda

Critique du film Les Bonnes Étoiles – Hirokazu Kore eda (2022)

« Les Bonnes Étoiles » est un film sud-coréen écrit et réalisé par le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda. Il sort au cinéma en France le 7 décembre 2022.

Voici ma critique du film (sans spoiler). J’ai eu la chance de rencontrer Kore eda, lors de son passage à Paris pour présenter le film en avant première. En fin d’article, j’ajouterai mon interview (bientôt, le temps de mettre en forme).

L’histoire du film : Par une nuit pluvieuse, So-young (Lee Ji-eun), une jeune femme, abandonne de manière anonyme son nouveau-né dans une « boîte à bébé » située au pied d’une église de Busan. Il est récupéré illégalement par deux trafiquants d’enfants, Sang-hyeon (Song Kang-ho) et Dong-soo (Kang Dong-won), qui commencent à négocier avec des couples de parents adoptifs. Leur plan initial ne se déroule pas tout-à-fait comme prévu… Commence alors un périple à travers le pays où la mère et les deux comparses, dans une alliance pour le moins inattendue, tentent de trouver la famille la plus offrante pour adopter le bébé, tout en ignorant qu’ils sont pistés par un duo d’inspectrices de police, bien décidées à les prendre en flagrant délit au moment de la transaction.

Un road trip initiatique, plein de générosité

Hirokazu Kore-eda says 'Broker' is his dream project

La première scène du film est triste, l’abandon d’un bébé par sa mère. Le réalisateur Kore eda met en lumière une phénomène de société qui existe réellement et qu’il a étudié d’abord au Japon puis en Corée. Il s’agit de « boîtes à bébés » qui sont installées pour permettre aux parents d’abandonner leur enfant de manière anonyme, le plus souvent devant un hôpital (comme l’hôpital Jikei, dans la municipalité de Kumamoto) ou une église. Ces abandons sont souvent le fait de mères célibataires, qui prennent le risque de ne plus jamais revoir leur enfant. Et qu’il puisse tomber entre les mains de personnes mal intentionnées.

Le point de départ du film est tragique. On pourrait croire qu’elle donne le ton au film, c’est tout le contraire. Kore eda y puise une force pour créer un film lumineux. Sur le courage, le partage, l’amour et la générosité. En sortant du cinéma, j’ai eu de sentiment d’avoir vu un beau film, qui emprunte plusieurs chemins mais qui reste tourné vers le positif. Je trouve que ce contraste est une grande qualité du film.

L’histoire se dévoile progressivement avec pudeur et sensibilité, en tissant un lien entre chaque personnage, à travers plusieurs générations, plusieurs destins que l’on va découvrir. Ce que je peux vous révéler, c’est que le bébé n’est pas vraiment abandonné. Cette famille de fortune entame un périple à travers la Corée en quête de la famille la plus offrante pour l’accueillir. Ce que je peux vous dire aussi, c’est que rien ne se passe comme prévu.

Plusieurs questions s’installent autour des variations de ce thème. Kore eda pose notamment la question de la légalité de ce système. Avec comme témoins deux inspectrices de police (Bae Doo-na et Lee Joo-young) censées arrêter les trafiquants en flagrant délit. L’histoire va prendre une autre direction.

Elle se déroule de manière « originale » à travers la Corée. De la ville de busan au parc d’attraction de Wolmido, on ne voit pas le temps passer. Non pas parce que le genre « road trip » est déjà bien connu (il existe tellement de films) mais parce qu’il brille par son authenticité. Imprégné du style du documentaire (la signature de Kore eda par lesquels il a commencé sa carrière), il puise dans l’observation une nécessité de constater et de rendre compte. C’est d’autant plus admirable qu’il explore un pays différent du Japon (pour la seconde fois car Kore eda a tourné le film « la Vérité » en France en 2019).

Sur le fond, ce film n’est toutefois pas une analyse profonde de la société ni coréenne, ni japonaise (comme pouvait l’être Nobody Knows ou une affaire de famille). « les bonnes étoiles » est plus consensuel. Je l’interprète comme une respiration. Un moment de partage avec ses personnages, ses actrices, ses acteurs. Kore eda a révélé que l’ambiance sur le tournage était excellente, avec Song Kang-ho plein d’énergie positive (dans un contexte de crise sanitaire) et en tant que spectateur, on ressent cela. Au fur et à mesure du périple, on assiste à des déconvenues, des aventures où chaque personnage dévoile sa propre histoire, une quête initiatique à laquelle on peut s’identifier.

Les Bonnes étoiles (2022) - Chacun Cherche Son Film

Un autre point positif est l’humour qui est assez présent. Kore eda réussi la prouesse de capter des moments de vie, avec beaucoup de subtilité et de second degré dans un pays, une culture et surtout une langue qui n’est pas sienne.

J’ai apprécié le franc parler des enfants, les facéties et sale caractère du jeune Hae jin (et son ami le ballon de foot comme dans captain Tsubasa) qui contraste avec le formalisme dont s’embarrasse les adultes qui est tourné en ridicule. Par exemple, j’ai adoré la scène de la rencontre avec le faux couple qui souhaite adopter l’enfant. Le running gag sur les sourcils du bébé est très réussi également.

Au final (même si c’est certainement réducteur et facile de dire ça), j’ai retrouvé dans « les bonnes étoiles », les qualités du film « Kikujirō no natsu » (l’été de Kikujiro) de Takeshi Kitano, sorti en 1999. Une histoire émouvante, une belle mise en scène qui nous porte, un côté burlesque et un sentiment de dépaysement qui nous fait voyager. Bon, avec la musique de Joe Isaishi en moins 🙂

Ce que je veux souligner, c’est que Kore eda va bien plus loin qu’un simple road trip. A la fin du film, on a l’impression d’une virée en famille. Mais aussi d’une réflexion sur un thème toujours d’actualité. Est ce que l’on peut se faire justice par soi même ? Qu’est ce que la justice sociale face à celle des institutions, de la société ? Un thème que Kore eda a déjà exploré dans plusieurs de ses films, notamment dans le film « the third murder » que je vous invite à voir.

Un pont dessiné entre les cultures, les générations pour mieux exprimer ses émotions

Broker

Je vois « les bonnes étoiles » comme une passerelle entre les cultures. Un pont qui se dessine entre la Corée et le Japon, mais pas seulement, qui va au delà les frontières géographiques pour connecter et exprimer les émotions. Par le fait qu’une rencontre va créer un lien social, transformer un regret en attente, changer la tristesse du passé en espoir pour l’avenir. Comment du jour au lendemain, on peut donner un sens nouveau à notre vie.

Kore Eda a ce style singulier, qui peut paraitre anodin mais qui est bien plus intéressant et surprenant qu’il n’y parait. Derrière l’apparence épurée, proche du documentaire, se cache un vrai travail de mise en scène, pour révéler des héros du quotidien, les personnes exclus socialement, dont les supers pouvoirs sont leurs rêves, leurs sincérité et leur volonté. La signature Kore Eda, c’est de faire briller à l’unisson des étoiles que l’on pensait prêtes à s’éteindre.

Dans une interview, il a révélé qu’il avait constaté lors de ses tournages à l’étranger qu’il a y une plus grande propension à verbaliser les émotions en France et en Corée, par rapport au Japon.

Dans « les bonnes étoiles », sa mise en scène renforce ce sentiment de pudeur pour exprimer les sentiments des personnages. Comme illustration, il y a une scène dans le film que je trouve très belle. Elle a lieu dans un train, plus précisément entre deux wagon. Vous savez cette zone de passage, ou les gens se croisent sans jamais se parler, peu propice au dialogue.

Kore eda en fait un point de rencontre entre So-young (Lee Ji-eun) et Sang-hyeon (Song Kang-ho). On voit l’alternance entre lumière et l’ombre qui laisse peu de doute sur la nature de leurs émotions. Le message que l’on devine va-t-il révéler quelque chose d’important ? Lorsque le train passe dans un tunnel, les couleurs s’effacent et sa voix se retrouve couverte par le bruit. J’y vois une pudeur toute japonaise (et peut être celle du réalisateur) sur la manière d’exprimer ses sentiments.

Je trouve certains dialogues très beaux (mais je comprends si vous reprochez une banalité car le côté sophistiqué n’est pas le but recherché). L’effort des personnages présentés comme « des anonymes », est de s’exprimer simplement, arriver à poser des mots sur leurs émotions, pour se libérer du poids du passé et envisager de se projeter vers l’avenir. Dans une scène (toujours dans le train), ils parlent de la signification des prénoms en Coréen. Woo song est celui du bébé, qui signifie « aile et étoile » afin qu’il puisse aller le plus loin possible. J’aime beaucoup cette idée, romantique, que le prénom puisse influer sur le destin d’une personne. Nous ne connaissons pas trop cela en France. Au Japon et en Corée, il faut savoir que c’est aussi une pratique qui s’efface, au bénéfice de prénoms plus communs, plus à la mode. J’aimerai qu’elle se perpétue.

La qualité du film repose aussi sur la performance des actrices et des acteurs. Un casting 5 étoiles qui tient ses promesses.

Hirokazu Kore-eda's 'Broker': Movie Review | Cannes 2022 - Proxa News

Song Kang-ho (immense acteur  dans « JSA », « Sympathy for Mr. Vengeance », « Lady Vengeance », « Memories of Murder », « The Host », et bien sûr « Parasite ») est parfait dans son rôle de négociateur maladroit et intéressé par l’argent. Il dévoile une générosité sans limites pour au final commettre un acte désintéressé pour sauver ceux qu’il aime. Le Jury du Festival de Cannes 2022 ne s’est pas trompé en lui décernant le Grand prix d’interprétation masculine.

Korean National Treasure Lee Ji-eun Makes Her Debut On French Riviera – Deadline

Lee Ji-eun (qui est une célèbre chanteuse de K-pop, auteur-compositrice, guitariste, danseuse) interprète avec beaucoup de justesse et de sensibilité (encore plus dans la deuxième partie du film) son rôle de mère en recomposition. J’ai aimé le contraste entre sa colère initiale (comme forme de rejet) qui évolue vers plus de tendresse, et sa mélancolie à la fin du film (la scène dans la grande roue est très belle). Le dénouement de cette famille re composée est magnifique, plein d’émotion, en forme de révélation et ses quelques mots qu’elle prononce dans sa chambre d’hôtel, plongée dans la pénombre « merci d’être née ». Les mots qui ne pouvaient être dits se révèlent enfin à tous. A ce moment, difficile de retenir ses larmes.

Quelques mot sur Bae donna (qui joue le rôle de la policière) qui est une des mes actrices préférés all time. J’en ai profité pour poser la question à Kore eda sur sa manière de travailler avec elle (il avait déjà tournée le film Air Doll en 2009 ou elle était un robot). Dans « les bonnes étoiles », je n’ai pas compris pourquoi elle mange dans de nombreuses scènes, alors je me dis que peut être c’est pour vérifier qu’elle est bien humaine de ce film 🙂

Une famille re-composée qui se conjugue à l’instant présent

Hirokazu Kore-eda on his new film 'Broker' - JoySauce.com

Le thème central de l’oeuvre de Kore eda, c’est la filiation, les relations familiales. Dans ses films, il se base souvent sur un rapport au temps, un déchirure du passé qu’il faut combler. Dans ce film, il pose la question de la famille aussi sur la passé, le présent et l’avenir. Ses personnages luttent contre les vagues du passé pour ne pas se laisser submerger par une société écrasante et individualiste, tantôt aveugle, tantôt muette, incapable de répondre aux besoins des oubliés.

“Comment est-ce que ma vie a tourné comme cela ?” s’interroge la femme dans Après la tempête (2016). C’est pour éviter d’autres tempêtes, d’autres drames, d’autres abandons et d’autres injustices que Kore Eda fait du cinéma. C’est aussi pour réconcilier les générations. Comme chez Truffaut, le thème de la filiation est central. Il s’adapte parfaitement à notre époque tout en restant ancré dans les traditions japonaises. Par l’importance de l’enfance ses symboles et ses souvenirs, Kore Eda nous prouve à chaque film qu’il reste une part d’humanité en chacun de nous, que tout n’est pas perdu. Et qu’il faut se nourrir des choses simples.

Dans « les bonnes étoiles », on assiste d’abord à la rupture de la relation entre une mère et son bébé au début du film. Puis elle se recompose progressivement, pour se rapprocher naturellement d’un rôle d’un rôle de mère qu’elle pensait de composition. C’est le cas aussi pour la relation père-fils et père-fille qui se dévoilent de manière encore plus subtile dans le passé  chaotique des deux « présumés coupables trafiquants d’enfants », Sang-hyeon (Song Kang-ho) et Dong-soo (Kang Dong-won). Mais dont la vérité est toute autre. Surtout, quand ils comprennent qu’ils ne peuvent revenir en arrière, ils vont apprendre l’un de l’autre.
En dévoilant une prise de conscience de chaque personnage, Kore eda nous fait réfléchir sur le sens de nos relations. C’est cette opportunité que j’aime dans ses films et dans le cinéma asiatique en général. Des oeuvres qui interpellent, non pas par de l’action, mais comme une forme de témoignage que l’on peut transposer à sa propre expérience, qui ne nous dit pas « comment penser » mais qui ouvre simplement et subtilement « des pistes de réflexions ».

Lors de l’avant première du film, Kore eda a révélé que l’idée de départ de chacun de ses films est justement de penser à une personne en particulier qu’il a rencontré, une histoire personnelle qui l’a touché. Pour « les bonnes étoiles », c’est l’histoire d’un enfant abandonné dans une baby box qu’il a rencontré dans un orphelinat et avec qui il a longuement discuté.

Son implication, c’est cette volonté de créer du lien entre les générations, indépendamment des dictats d’une société toujours plus contraignante, qui impose sans comprendre, qui délite les liens humains sans s’en rendre compte. La réponse peut être autant individuelle que collective. Kore eda a déclaré dans une interview : “Au cours des 15 dernières années, j’ai perdu mon père, j’ai perdu ma mère et j’ai une fille. Je suis devenu père. J’ai donc réalisé qu’il existe toujours un “entre deux”. Un lien se crée lorsqu’il manque quelque chose, alors nous essayons toujours de prendre le relais. De l’ancienne génération à la génération nouvelle”. Le pouvoir de se créer sa propre famille, de s’aimer et de s’aider par delà les apparences. Pour conclure, je pense que les prochains films de Kore Eda, vont continuer à nous interpeller sur ces thèmes.

La bande annonce :

https://www.youtube.com/channel/UCeLmCGO5ksnjMM5MLrhCEDw/videos?view=0&sort=p&shelf_id=0

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