Cure (キュア, Kyua) est un film japonais réalisé par Kiyoshi Kurosawa, sorti en France le .
C’est un thriller psychologique qui flirte avec le surnaturel. Une série de meurtres laisse la police perplexe. L’inspecteur Kanabe (Koji Yakusho) enquête sur un jeune homme énigmatique, frappé d’amnésie et pratiquant l’hypnose.
« Un jeu de piste palpitant »
Un point fort du film est que le spectateur n’est pas guidé par un intrigue linéaire. La relation entre l’inspecteur de police et le jeune étudiant, dont l’interprétation est très convaincante, constitue le fil conducteur sous la forme d’un duel à distance mais ne constitue pas l’intérêt principal du film. Comme l’assassin qui signale ses crimes d’une croix sanglante, il faut tacher de reconstituer la trame des événements, parmi les traces, le passé de chaque protagoniste.
Chaque individu représente une institution d’une société japonaise hyper exigeante qui est à la dérive. L’homme du pressing symbolise les « salary men ». Il est debout mais amorphe, la tête baissée vers l’avant suggérant à la fois un assujettissement sur le plan professionnel et une démission sur le plan social. Dés lors, la violence individuelle va venir répondre à la violence exercée par la société.
Le fil rouge qui relie ces criminels vient de ce qu’ils n’ont pas su refouler leur pulsion. Il y a d’un côté ceux qui regrettent leur acte (l’instituteur, le commercial) et de l’autre ceux qui le revendiquent (le policier et la doctoresse).
Mamiya, l’étudiant qui hypnotise est lui le personnage le plus lucide. Il agit comme comme un révélateur sanglant sur les autres personnes et la société qu’il traverse. Ainsi est-il présenté moins un criminel qu’un magnétiseur qui utilise sa méthode pour guérir les « malades ». La crise qu’il provoque est montrée comme salutaire par le cinéaste. On comprend mieux le titre du film, Cure, qui suggère le programme purgatif auquel se livre l’étudiant.
« Une film en proie avec une réalité sociale mutique »
Ce que nous montre Kurosawa, c’est une critique acerbe de la société japonaise, qui malgré ses rues bondées et son agitation permanente est en proie à un vide intérieur.
Ce vide est véhiculé Mamiya au travers les éléments qu’il manipule (eau, feu).
» Ce que j’avais autrefois à l’intérieur de moi est maintenant en dehors. Tout ce que vous avez à l’intérieur de vous, je peux le voir. En échange, je suis moi-même « , affirme le jeune homme en hypnotisant ses victimes. Le « X » du film est le symbole de cette non personnification de la violence, de l’exorcisme de Mesmer si on le considère d’une manière globale, comme une technique d’extraction du mal.
Le constat de Kurosawa est pessimiste puisque personne ne semble pouvoir échapper aux maux qui ronge la société japonaise. A ce titre, le cinéaste s’approprie la pensée du philosophe Allemand Martin Heidegger relative à la déconstruction pour couper avec des possibilités impensées ou oubliées et entreprendre sur des bases retrouvées, une franche Répétition (Wiederholung) de la question de l’« Être », autrement dit un autre commencement.
Ici, le fait que le modèle d’une société japonaise repliée sur elle-même, basée sur l’ordre et la discipline est remise en cause et qu’elle ne peut espérer trouver le salut que dans sa destruction.
« Un thriller fantastique, épuré et oppressant »
Ce qui frappe dans ce film, c’est le caractère épuré de l’action. Une plage déserte, les rues de Tokyo sur courant alternatif ( le néon intermittent du début du film) ou l’appartement du policier, chaque lieu parait incroyablement vide, dénué de toute humanité. C’est la première fois que je vois le japon présenté de cette manière dans un film.
La réalisation est quasi- hypnotique. Les plans se succèdent à un rythme rapide puis cèdent la place à l’image fixe et à la beauté simple de la photographie de Tokusho Kikumura, au jeu subtil des couleurs et des contrastes. C’est un autre point fort du film. Kurosawa retranscrit parfaitement à l’image un monde ambivalent de pré-chaos, sombre et froid mais aussi un coté harmonieux et libre.
Avec Cure, Kurosawa affiche une pleine maîtrise de son art et nous livre un film captivant, entre le polar noir et la fable expressionniste. Bref, un chef d’œuvre du genre qui crée son propre genre !