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Critique du film CHIME de Kiyoshi Kurosawa

« Chime » est un moyen métrage (45 minutes) réalisé par Kiyoshi Kurosawa (KK) qui sort le 28 mai 2025 au cinéma en France le 28 mai 2025. En 2024, il a présenté « hors compétition » au Festival international du film de Berlin. L’originalité de sa sortie au Japon, c’est qu’il a été proposé sur la plateforme Roadstead sous forme de NFT, le 12 avril 2024. Un bonne nouvelle de le voir arriver en France au cinéma sur grand écran, un an après sa sortie au Japon (merci au distributeur Arthouse). Puisqu’il ne s’agit d’un moyen métrage, j’espère que les salles de cinéma adapteront leur tarif ou auront le bonne idée de proposer les deux films (Chime et le long métrage Cloud qui sort le 6 juin) à la suite pour le prix d’une seule séance. Voici ma critique du film en forme d’analyse en trois partie. Attention avec quelques spoilers.

L’histoire du film : Takuji Matsuoka travaille comme instructeur  de cuisine française. Un jour, pendant un cours, l’un des élèves, Ichiro Tashiro, dit quelque chose d’étrange : « Ça ressemble à un carillon, quelqu’un m’envoie un message. » Même parmi le personnel du bureau, on disait que Tashiro était un peu étrange, mais Matsuoka n’y prête pas attention. Un autre jour de classe, Tashiro déclare : « La moitié de mon cerveau a été remplacée et je suis une machine » et veut lui prouver. Un jour après l’incident Matsuoka enseigne à une jeune étudiante, Akemi Hishida comment découper un poulet. Matsuoka continue calmement sa leçon, mais quand Akemi se plaint que le poulet entier est dégoûtant, il va réagir… Qu’est-il arrivé exactement à Matsuoka ? Une étrange atmosphère commence à envahir son quotidien…

La bande annonce :

Dès le début du film, Chime (que l’on peut traduire par carillon, petite musique) nous introduit un cours de cuisine française dispensé par un professeur, Matsuoka Takuji, à ses jeunes élèves. Rien de spécial en apparence. Lorsqu’il termine sa journée de travail, il rentre chez lui. Il habite un petit pavillon avec sa femme et son fils. Rien d’extraordinaire, en apparence. Et pourtant, on découvre vite que derrière ces apparences se révèle une réalité invisible à l’oeil nu. Celle du mal, ou plutôt d’un mal être, qui menace de prendre le dessus à chaque instant…Au fur et à mesure de l’histoire, on se demande jusqu’ou cette folie du récit va nous mener. Cette contagion par le mal est un thème récurrent dans les films de K. Kurosawa (je vous prépare un article sur la liste de tous ses films), et il évident dans Chime.

On découvre progressivement la mystérieuse personnalité de Matsuoka, ou seulement ce qu’il veut nous montrer. Lorsqu’il tente de décrocher un poste dans un restaurant de gastronomie française. On pense qu’il est professeur faute de pouvoir exercer dans un grand restaurant. C’est ce qu’il affirme lors de son entretien d’embauche avec le directeur d’un restaurant gastronomique : »je n’aurais aucun regret à abandonner ses cours ». Mais il brouille les pistes car son potentiel employeur lui fait remarquer qu’il avait déclaré le contraire lors d’un entretien précédent.

Chime (2024). ©Roadsted, courtesy of Nikkatsu Corporation

Je ne sais pas si on peut le considérer comme un chef « has been », ce qui est certain c’est qu’il ne se considère pas comme tel et à toujours une haute opinion de lui même. L’histoire progresse lentement vers cette forme de dissociation.

On peut douter aussi de sa passion pour la cuisine. Lorsqu’il dit au policier que la cuisine fait du bien à ses élèves et à lui. Pourtant il peut se montrer un peu raide envers ses élèves, et le récit va évoluer vers des scènes glaçantes. Vous verrez qu’il n’y a rien de glamour dans tous ces plats et ingrédients. On est loin de top chef. Plus proche de cauchemar en cuisine ! Concernant la fonction de professeur, je me demande si K. Kurosawa s’est inspiré de son expérience car il a enseigné pendant longtemps (peut être encore aujourd’hui) à la Tokyo University of the Arts.

Parmi ses jeunes élèves, la confusion est aussi présente. A la différence de Matsuoka, ils et elles affirment leurs émotions, haut et fort. Allant jusqu’à commettre l’irréparable. Pour chaque personnage, le film en tant que thriller pose au moins trois questions principales : quel est le point de bascule ? Jusqu’ou vont ils (elle) aller ? Et une question subsidiaire : mais que fait la police ? (elle est aveugle ou elle le fait exprès)

J’avoue ne pas me souvenir d’avoir été autant déstabilisé/dérangé par un moyen métrage. K. Kurosawa parvient en seulement 45 minutes de nous livrer un scénario original mais ces questions qui restent en suspens. D’ou vient ce carillon ? Est-ce un phénomène naturel er réel ou imaginaire et surnaturel ?

Il y a cette scène bluffante où le personnage principal crie sans que nous puissions voir ce qu’il regarde. Un plan proche du personnage comme un preuve de l’un des thèmes principal du film. Il y a chez chaque personne qu’on peut voir et ce qu’on ne peut pas voir.

Je dois souligner la performance de l’acteur Mutsuo Yoshioka que vous pourrez retrouver (en forme de clin d’oeil) dans le film « Cloud » dans un rôle avec mon d’épaisseur. Un autre trait d’union entre les deux films, Chime et Cloud, ce sont les références à la France, la cuisine française, les cartons « made in France », la voiture de marque Renault. Un trait d’union qui se prolonge avec le troisième film de K Kurosawa sorti en 2024 et tourné en France, le chemin du serpent qui est un remake de son film sorti au Japon en 1998. Et bonne nouvelle il sort en France au cinéma le 13 aout 2025.

« Une mise en scène magistrale »

Seiichi Kohinata – Chime (2024). ©Roadsted, courtesy of Nikkatsu Corporation

Après avoir vu ce film, un constat s’impose immédiatement. Il dévoile une ambiance glaçante, une réalisation qui est magistrale. Bravo à KK pour ce retour aux sources du thriller horrifique (un genre qu’il connait bien), avec sa manière unique de créer une forme de malaise à l’image par des effets subtils. Chime a tout les ingrédients du film de genre. Et Kurosawa prouve une nouvelle fois son génie à adapter en moyen métrage. C’est une recette qu’il maîtrise parfaitement en long métrage.

D’un point de vue visuel, je peux vous dire que chaque scène est imprévisible, du début à la fin. En seulement 45 minutes, Chime est une forme d’expérience à la frontière du réel qui présente une réalité invisible à l’œil nu. Chaque plan interpelle, les frissons ne sont pas loins. L’horreur est présente. Elle n’est pas seulement dans ce qui est dit ou montré (attention, une scène est particulièrement violente) mais dans ce que le spectateur ressent ou plutôt présent (mais qui n’arrive pas forcement). Une zone d’ombre que K. Kurosawa approche pour mieux en s’éloigner…et y revenir. Le génie, ce sont tous les effets visuels déployés. Pas besoin d’effets spéciaux, un simple jeu de lumières, des bruits du quotidien (comme celui du train ou des cannettes qui tombent dans le film), ils sont là pour installer cette atmosphère glaçante. La musique minimaliste, fait office de murmure, de souffle court pour renforcer cette sensation, sauf dans la dernière scène avec son son assourdissant qui prend le dessus même sur l’image. Je trouve que cet effort d’épure révèle dans l’ambiance globale une forme de réalité abstraite. Des effets qui paraissent simples (ils ne le sont pas) et qui sont trop rares dans les films actuels surtout à gros budget avec effets spéciaux grossiers.

Pour nuancer mon propos, K. Kurosawa à déclaré avec beaucoup de second degré : “Pour la scène du coup de couteau, je voulais en fait filmer de façon très réaliste, avec beaucoup de liquide qui coule, mais nous n’avons pas obtenu l’autorisation, parce que cette école culinaire, où nous avons filmé, est un endroit réel, et ils n’étaient pas d’accord. Nous avons ajouté le sang en CGI, ou dans d’autres cas, nous avons utilisé quelque chose comme une plaque de plastique. Désolé, les choix sont parfois aussi comme ceci.

Un focus sur la mise en scène magistrale : je pense notamment à toutes les scènes ou l’on voit les mouvements et les lumières des trains ou celle du pont ce plan large en hauteur ou le personnage courir la nuit dans cette magnifique perspective. Chaque lieu est utilisé pour nous donner une piste d’interprétation (vrai ou fausse), elle se trace puis s’efface, ouvrir une porte qui se referme. A l’image de l’avant dernière scène ou il ouvre sa porte pour sortir dans la rue avant de rentrer chez lui, pour découvrir qui ? quoi ?

Dans tous les cas, Chime aurait mérité le prix de la mise en scène dans tous les plus grands festivals du monde.

« Notre société en questions : l’individualisme, la communication et la pression collective »

Chime (2024). ©Roadsted, courtesy of Nikkatsu Corporation

Comme chaque film de KK, c’est une analyse fine de la société japonaise qui se dévoile. Ce que j’aime analyser dans mes articles. Dans Chime, c’est à la fois l’excès d’individualisme qui est mis en question, à travers l’égocentrisme du personnage principal. C’est aussi un raz de bol mental engendré par les contraintes collectives imposées par la société moderne. Tout ce qui nous empêche d’être nous même. L’un comme l’autre engendre un point de rupture dans les relations sociales, une déshumanisation programmée.

Cette aliénation moderne du quotidien devient réduite à une forme de terreur abstraite qui se forme et se déforme au gré d’une simple parole prononcée par une élève, d’un simple geste (de son fils).

Ce qui est intéressant dans l’approche minimaliste de K. Kurosawa, c’est qu’il  part de l’individu pour critiquer la société.

Il montre que le Japon contemporain souffre d’absence de remise en question, d’une pression inutile qui fait que l’on s’enferme dans ses certitudes et que l’on n’écoute plus les autres, on n’essaie même plus de les comprendre.

La poids des contraintes collectives (comme les consignes pour faire une recette de cuisine, tu dois faire le pain comme ça dans le film)  fait que l’on fonctionne comme des robots (l’élève qui dit que la moitié de son cerveau est devenu une machine) et là aussi qui conduit à un manque de communication.

Les deux scènes révélatrices en forme de fil rouge car elles ont lieux au même endroit (une brasserie) ce sont les entretiens entre Matsuoka sont potentiel futur employeur. On se rend compte à quel point il y a un fossé entre les deux cotés de la table (pourtant les personnages sont à la même place). Mais le point de rupture n’est pas loin. Il explose à la table d’à coté. On voit une autre personnage attaqué un jeune femme avec un couteau. Par ce coté, on voit clairement le manque de communication. mais Kurosawa va plus loin dans son message. Il considère que cette communication perdue est un vecteur de diffusion du mal. Celui qu’on ne voit pas, qui ne se dit pas mais qui existe réellement.

Sur ce point, on peut évidement voir « Chime » comme un sequel au chef d’oeuvre « Cure » sorti en 1997 (mais je veux éviter toute comparaison).

Je veux revenir sur ce thème de la « diffusion du mal », une contagion invisible, imprévisible qui est un marque de rupture avec les convention de la société japonaise. Une preuve que le surnaturel peut apparaître n’importe ou. Ce constat se reflète dans par la banalité du décor, de son travail, de sa maison. Une simplicité qui contraste avec la complexité de l’esprit des personnages dans lequel il est impossible de lire car il ne se parle pas vraiment. Jusqu’à ce jeu de miroir ou Matsuoka se retrouve face à lui même.

Il se reflète aussi dans le personnage de son épouse, qui comme des Cure n’est pas forcement celle que l’on imagine.

Avec « Chime » et « Cloud », l'irrépressible désir de mort de Kiyoshi Kurosawa
Chime (2024). ©Roadsted, courtesy of Nikkatsu Corporation

Le climax est atteint lors de la scène (presque finale) entre Matsuoka et son fils qui va le contrarier en lui demandant de l’argent. Son fils qui représente en principe la filiation, celui à qui on veut transmettre ses valeurs, pour faire et vouloir le bien. Que va t il décider dans  cette situation ? Je vous laisse voir le le film pour le découvrir et vous faire votre propre interprétation.

La dernière scène de Chime interpelle et on peut avoir un sentiment de frustration à la fin du film. D’abord sur la forme l’envie d’en savoir plus mais en raison sa durée (ce n’est qu’un moyen métrage) qui peut être vu comme un contrainte mais ce n’est pas l’idée de K. Kurosawa. Sur ce point, je pense que le moyen métrage s’adapte parfaitement au propos (je rappelle qu’il s’agit d’un scénario original) et que le réalisateur réussi l’exploit de nous faire ressentir toutes les émotions d’un film, dans un format plus court.

Conclusion :  Chime est excellent moyen métrage, une vraie leçon de mise en scène. Aucun plan, aucune seconde ne sont gaspillées. C’est pour cette raison que les films de K. Kurosawa me fascine toujours autant. Une forme qui prend le dessus sur le récit et qui laisse la place à l’interprétation.

Sur le fond, le film nous pose des questions. Il délivre des messages quasi sociologiques. Concilier travail et famille. Concilier un métier artistique (la cuisine) et l’appât du gain d’un nouveau travail ? Ce questionnement se dévoile à travers les simples gestes du quotidien, comme sortir ses poubelles, qui nous montre comment un aliénation existentielle progresse. Et comment elle peut contaminer toute forme de discernement et de raison.

La fin du film nous interpelle car il ne donne pas d’explications et laisse une porte ouverte sur le devenir des personnages. cela peut être frustrant à première vue mais je n’ai pas eu ce sentiment car la fin m’a ouvert à la réflexion, pour analyser cette claque cinématographique en lien avec la société japonaise. 

Les affiches du film :

Critique du film CHIME de Kiyoshi Kurosawa

Critique du film CHIME de Kiyoshi Kurosawa

https://japoncinema.com/les-films-japonais-a-voir-au-cinema-en-2025/

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