« A Normal Family » est un film sud-coréen réalisé par Hur Jin-ho. Il sort au cinéma en France le 11 juin 2025. Il s’agit de l’adaptation du roman « Le Dîner » (Het diner, 2009) de l’écrivain néerlandais Herman Koch. En 2017, ce roman a déjà adapté au cinéma par Oren Moverman, avec Richard Gere en tête d’affiche. Critique du film Coréen « A NORMAL FAMILY »

En introduction, quelques mots pour présenter le réalisateur, HUR Jin-ho, remarqué en 1998 avec son premier long-métrage, CHRISTMAS IN AUGUST (sélectionné à la Semaine de la Critique au festival de Cannes et récompensé par de nombreux prix du meilleur réalisateur). Il s’illustre par une approche sensible et intimiste du récit amoureux. Son œuvre s’ouvre rapidement à l’international, notamment à travers des collaborations marquantes avec le cinéma chinois, dont A GOOD RAIN KNOWS et DANGEROUS LIAISONS. En 2016, il rencontre un succès public majeur avec THE LAST PRINCESS, affirmant ainsi sa capacité à conjuguer exigence esthétique et succès au box-office. En 2021, il poursuit son exploration narrative en réalisant la série télévisée LOST, élargissant encore les frontières de son univers artistique.

Son dernier film » A Normal Family » a été présenté en avant-première mondiale au Festival international du film de Toronto 2023 et reçu des critiques positives.

L’histoire : Deux frères, un avocat matérialiste et un chirurgien idéaliste, se retrouvent régulièrement avec leurs épouses pour dîner dans un restaurant chic de Séoul. Lorsqu’une affaire criminelle qui les implique explose sur la scène médiatique, leur sens de la morale va être mis à l’épreuve.

La bande annonce :

1)Une affaire de famille, déroutante et intense

Sans détour, j’ai apprécié A Normal Family. Ce film est une réussite sur tous les plans.

Il s’agit d’une adaptation du roman de Herman Koch, « Le Dîner ». On voit que c’est une adaptation libre et je trouve le fait qu’elle se déroule en Corée du sud particulièrement intéressant, autant pour le développement des personnages que pour l’analyse sociologique de ce pays et de ses valeurs (j’y reviendrai).

Le film s’ouvre sur une scène de violence routière, un clash entre deux conducteurs qui débouche sur un terrible accident avec de lourdes conséquences. Dès cette ouverture, on se pose plusieurs questions existentielles.

L’histoire nous introduit ensuite les deux personnages principaux qui sont deux frères et qui vont devoir agir et réagir (chacun à sa manière) à cet accident de voiture. Jae-gyu (interprété par l’acteur JANG Dong-gun) est chirurgien et sauve des vies et son frère Jae-wan (l’acteur SUL Kyung-gu) est avocat. On peut dire sauve des vies d’une certaine manière aussi. On bascule sur une scène de chasse récréative, là c’est un animal sans défense qui est tué. Dans les deux cas, nous sommes les témoins de ces agressions, qui auraient pu être évité. Quelles vont être les conséquences ?

Le thème principal du film est cette dualité qui existe chez l’être humain. Plus précisement dans une société moderne, dans une famille aisée, est ce que le sentiment d’impunité existe vraiment ? Comment il se construit ? On sait tous que notre opinion, peut changer à l’épreuve des faits et de notre point de vue sur ces faits. du droit, de la morale. Tout le film est construit sur cette variation des positions des personnages. Et comme eux, on change d’avis plusieurs fois. C’est l’une des grandes réussite de ce film. Dans ce cadre, à quoi sert le droit ? Quelle est la place de la morale ?

J’ai été bluffé par toutes ces fausses pistes, chaque scène explore la complexité des relations entre chaque personnages avec ses secrets et ses révélations. Un exploit est de garder une cohérence de haut niveau tout au long du film. le spectateur semble guidé mais en réalité, il y a beaucoup de fausses pistes. On plonge dans un labyrinthe de faits, de réactions sincères mais aussi de faux semblant qui sont soumis à notre interprétation.

Un autre constat, est l’intensité des scènes de dialogue du début à la fin, j’ai trouvé que le déroulement de l’histoire avait le juste rythme. On découvre les réactions, arguments et contre arguments de chaque personnage qui évoluent et qui peuvent nous faire changer d’avis à tout moment. On ne sait plus quoi penser et notre pensée évolue, un peu comme j’imagine suite à une plaidoirie. On ne sait pas sur quelle version le film va se terminer. Et quel personnage va imposer sa version des faits. Par la persuasion ? Ou de manière plus brutale ?

J’ai apprécié aussi le fait que de nombreuses scènes se répondent, d’autres formes des parallèles et le début et la fin ne sont pas si différentes. Ces effets sont très difficiles au cinéma pour ne pas perdre le spectateur et sur ce point c’est une grande réussite.

Enfin, malgré la gravité des évènement, le déroulement de l’histoire laisse planer une douce ironie. Avec une scène de fin en point culminant. Elle est complètement prévisible (certains diront trop prévisible), je retiens qu’elle fait le parallèle avec la première scène du diner. La boucle est bouclée. La scène d’agression en voiture et la dernière séquence du film se répondent, avec cette impression que la violence concerne les autres mais pas nous. C’est ce que semble penser le personnage du médecin, Jae-gyu. Et pourtant…

2)Une réalisation d’une grande maitrise portée par le casting 4 étoiles

Une autre qualité de ce film est sa mise en scène. Avec une majorité des scènes qui sont filmées en intérieur, ce qui renforce l’immersion, l’impression d’être avec les personnages, presque d’assister à une pièce de théâtre. Les deux scènes du diner dans ce restaurant sont révélatrices et se répondent. Au début et à la fin du film, on voit les deux couples qui se font face pour décider du destin d’autres personnages (au début du film concernant leur travail, à la fin du film concernant leurs enfants). Et évidement, ils ne sont pas d’accord. Ces repas révèlent un esthétisme dont je me souviendrai longtemps. Tous les éléments sont feutrés, presque neutre et marquent le contraste avec les émotions des personnages qui brulent (comme la sauce pimentée) de jalousie, d’égoïsme, de fausse bonnes manières qui volent en éclat.

L’interprétation de tous les actrices et acteurs est excellente. Elle repose sur deux acteurs d’expérience qui sont Sul Kyung-gu et Kim Hee Ae, qui révèlent le juste ton dans leurs dialogues et surtout dans leur langage corporel que je trouve exceptionnel. Jang Dong Gun est parfaite dans son rôle décalé que l’on voit venir. Et le personnage le plus lucide est sans aucun doute, Claudia Kim que l’on pourrait vite juger par son apparence mais qui se révèle la plus réfléchie et posée sur chaque situation. Malheureusement, il ne pourra pas empêcher le dénouement du film (la « destination finale » de son mari). Dans cette situation prévisible et pleine d’ironie, on se demande si le droit va protéger son beau frère comme son mari l’avait prévu lors d’une scène précédente (qui montre la situation inverse entre son mari et son beau frère).

3)L’analyse sans concession d’une « famille normale »

Tout au long du film, le réalisateur introduit une analyse de la société Coréenne. Je vous livre un aperçu en quatre thèmes ci dessous. Mais même le film se déroule en Corée du sud, je pense qu’il révèle des messages universels sur la nature humaine qui dépasse largement les frontières de ce pays. Il y a partout dans le monde des familles bâties sur cette forme de stéréotype. A normal Family peut très bien se trouver en France.

Le thème de la violence, très présent. Dès la première scène, avec un réalisme saisissant. Elle est montrée autant comme moyen de défense, que comme action allant jusqu’à l’agression gratuite. Le film insiste d’une part sur ses lourdes conséquences (pouvant causer la mort) et d’une part, on voit que la violence physique est la manifestation d’une souffrance psychologique, quasiment pour chacun des personnages. Ce thème est aussi au coeur de la relation entre parents et enfant. Comment expliquez que Su-ho, qui a été élevé par des parents bons et généreux, et Hye-yoon, qui a grandi dans un milieu plus matérialiste aient la même inclination pour l’insolence et la violence ? les enfants sont insensibles aux images violentes, notamment à cause d’Internet. Cette violence est aussi le reflet de la pression scolaire qui pousse à intégrer les meilleures universités. Je recommande ce film à tous celles et ceux qui veulent plonger dans un océan de faux semblant, qui révèle ce qui se cache derrière les apparences (visible uniquement des caméras de surveillance).

Le thème de la communication est central. Il serait intéressant de l’analyser entre chaque personnage, mais mon article serait bien trop long. Je veux simplement m’incliner devant le personnage le plus lucide du film qui est la magistrale Ji-su (interprété par Claudia KIM). Elle qui est la jeune belle mère que personne ne va prendre au sérieux (rapportée pour sa belle fille), moquée par la femme de son beau frère (qui est sa jalouse de sa beauté et jeunesse, elle demande de toujours la vouvoyer pour mieux la rabaisser). Elle est la seule a être lucide sur cette famille au bord de la rupture. Elle est la seule analyser les situations avec discernement. La preuve que la vérité se cache souvent derrière les apparences.

Ji-su dit quelque chose d’intéressant dans le film d’ailleurs : lorsqu’on parle des enfants, en Corée, on parle entre adultes, on les exclut de la conversation. C’est ça, qui aggrave la situation ? En réalité, ce film dévoile un regard terrifié et impuissant des adultes sur les enfants et par un jeux de reflets, le regard qu’ils posent sur leur avenir, sur la société et donc sur eux-même.
En Corée (comme dans toutes les pays « modernes »), les enfants et les adultes ne se parlent plus assez. Mais c’est la faute des adultes. Ils ne voient pas les enfants comme des personnes à part entière ; les adultes, les parents, sont persuadés d’avoir toujours raison puisqu’ils ont l’expérience. Les enfants, eux, sont éduqués en grande partie par YouTube par eux-mêmes. Ils ont un objectif eux aussi : être performants et intégrer les meilleurs cursus.

Le thème de l’argent est bien abordé. D’abord à travers les écarts de richesse, on découvre dans ce film le quotidien de familles « aisées » (même si l’avocat est plus riche que son frère). Est ce que les riches on un forme de légitimé à la violence car ils ne seront jamais mis en cause ? Est ce que le droit protège les riches, les célèbres ? On voit à quel point l’argent peut corrompre le personnage de l’avocat. C’est un thème intéressant car en lien avec la croissance économique fulgurante de la Corée du sud (il va défendre le fils d’un grand entrepreneur et dit qu’il ne peut donc pas refuser). Le film nous pose cette question, est ce que l’argent peut changer toutes les valeurs morales ? En esquisse de réponse, le réalisateur HUR Jin-ho a déclaré à CINEMATEASER en avril 2025 : « la rapide croissance de la Corée est à double tranchant. Il y fait très bon vivre, mais on ne peut pas nier que certains Coréens sont devenus très matérialistes. L’écart entre les plus pauvres et les plus riches s’est terriblement creusé. La population est un peu perdue face à ses vieilles valeurs morales. Dans A NORMAL FAMILY, les deux frères abordent l’argent de manière totalement différente, mais leurs visions respectives vont évoluer pendant le film.

Enfin, le film nous parle du lien entre les générations. Des sociétés qui se basent sur le respect des aînés mais qui montre que ce respect est en train de disparaître.
Le réalisateur nous révèle pour quelles raisons : « La Chine décrit la Corée comme le « Pays de la politesse ». Nous y avons toujours beaucoup respecté nos aînés mais j’ai l’impression qu’il y a de moins en moins d’adultes respectueux et respectables. Les plus âgés affichent une certaine arrogance et pensent avoir la science infuse. Ils se politisent de plus en plus, et deviennent très conservateurs quand les jeunes, eux, assument leur âgisme et leur goût pour les choses superficielles. Le dialogue est rompu.

Conclusion : A normal family est un très bon film. Une histoire pleine de rebondissements qui révèle la dualité de l’être humain à travers la confrontation entre deux frères (aux valeurs différentes et au métier différent). L’un des meilleurs films que j’ai vu cette année dans ce genre « thriller psychologique ». Un film d’une grande intensité, porté par une réalisation intelligente et un casting 5 étoiles. Je le recommande à tous celles et ceux qui veulent plonger dans un océan de faux semblant, qui révèle ce qui se cache derrière les apparences. Pour le meilleur et surtout pour le pire.

L’affiche du film :