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Mon interview du réalisateur SANG-IL LEE

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Connaissez vous Sang-il Lee ? C’est un réalisateur que j’admire depuis que j’ai découvert son film « Rage » (Ikari). Depuis, j’ai vu presque toute sa filmographie. J’aime son style autant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, je trouve que sa mise en scène est à la fois très précise mais aussi aérée, elle donne à la fois le sentiment l’intimité des personnages mais également une respiration qui fait du bien. Sur le fond, il aborde des thèmes au croisement du cinéma social, du film noir et du drame avec une analyse de la société japonaise. Sang-il Lee est un réalisateur japonais d’origine coréenne. Il faut savoir qu’il a étudié à l’Institut japonais de l’image animée, école de cinéma fondée par Shōhei Imamura. En 2000, son film de fin d’études, « Chong » est très remarqué. Depuis, il a réalisé 10 longs métrages, dont « Unforgiven » (en 2013), présenté au festival de Venise, qui est le remake du western « Impitoyable » de Clint Eastwood.

J’ai eu la chance de rencontrer Sang-il Lee pour un bel entretien, lors de son passage à Paris pour présenter son dernier film « Le Maître du Kabuki » projeté en avant-première au festival Kinotayo. Ce film sort en France le 24 décembre au cinéma. Pour moi, c’est un immense honneur d’échanger avec celui qui a changé ma manière de voir des films et de constater que le lien entre le cinéma japonais et la France existe aussi en dehors des salles de cinéma.

En ce beau jour du 4 décembre, j’avais rendez-vous avec le réalisateur chez dans les locaux du distributeur Pyramide Films, non loin du cinéma le Grand Rex en fin d’après-midi. L’entretien a duré environ 30 minutes, j’ai pu poser plusieurs questions. Surtout je veux témoigner de son extrême gentillesse et de sa disponibilité totale pour répondre à chacune de mes questions avec sincérité et sans langue de bois, de quoi me faire croire qu’elles sont (presque) pertinentes. Je veux aussi remercier vivement la traductrice.

Assez parlé, voici l’intégralité de mon entretien en onze questions et réponses (j’aurais aimé en poser plus). J’ajouterai bientôt des extraits en audio dans mon article.


Mes questions et les réponses du réalisateur Lee Sang-il


1) Ma question : je voulais d’abord vous remercier de m’accueillir et pour votre film « le maître du kabuki » que j’ai vu et beaucoup aimé (pour l’histoire, la performance des acteurs et des actrices, votre manière de filmer l’art du KABUKI qui reste méconnu en France). Pour ma première question, je voudrais savoir ce qui vous a attiré dans le roman original de Shuichi Yoshida pour l’adapter en film pour le cinéma ?

La réponse de Lee Sang-il : J’avais envie de réaliser un film qui raconterait la vie d’un personnage de Onnagata, donc d’un acteur homme qui joue un personnage de femme. Par conséquent, le fait que le livre traite de ce sujet, c’est quelque chose qui m’a grandement intéressé. Cette histoire de quelqu’un qui vient de l’extérieur, qui va intégrer un monde fermé, extrêmement hiérarchisé et qui va parvenir à acquérir sa propre identité en essayant d’atteindre des sommets.

C’est une thématique qui résonnait beaucoup avec ce que j’avais envie de faire. Ce qu’il y avait dans le roman et que je souhaitais montrer, c’est aussi cette histoire d’artiste qui va donner sa vie pour aller au plus haut et qui va perdre des choses mais également en acquérir. J’avais très envie de mettre en scène cette folie propre aux artistes. C’est cela qui m’a attiré dans le roman original.


2) Ma question : je trouve que l’une des grandes qualités de votre film est qu’il traverse presque 50 ans de vie et d’évolution des personnages, en gardant l’art du Kabuki intact « en fil rouge », qui est sublimé du début à la fin du film. Comment avez-vous abordé ce défi de présenter autant d’années et d’évolutions (notamment physique) des personnages, sans perdre l’intensité dramatique et la cohérence de l’histoire ?

La réponse de Lee Sang-il : Le sens principal qu’il y a derrière le fait de raconter la vie de cet homme, c’est que l’art du Kabuki se transmet de génération en génération et le personnage de Kikuo lui il va découvrir/rencontrer le Kabuki puis il va accueillir cet héritage et en faire une « manière de vivre« . Le Kabuki va devenir sa manière de vivre au quotidien et donc pour moi faire ce film ce n’était pas simplement raconter la vie d’un homme, mais également raconter tout ce mouvement qu’implique la transmission à travers la vie d’un homme.


3) Ma question : Ce que l’on retient aussi dans ce film, c’est la performance des deux personnages principaux. Ryô Yoshizawa (Kikuo) et Ryusei Yokohama (Shunsuke) que je trouve formidables (pas seulement dans les scènes de Kabuki mais aussi parce que l’on traverse toutes les émotions). J’aimerais savoir comment vous avez sélectionné ces deux acteurs principaux ? Est ce que vous avez organisé un casting ?

La réponse de Lee Sang-il : POur ces personnages, je n’ai pas organisé de castings. Dès que j’ai monté le projet en 2018, 2019, je voulais que ce soit Ryo Yoshizawa qui joue de ce rôle, notamment car il dégage cette beauté presque irréelle. Mais aussi parce qu’il y a une forme de force ensorcelante par son jeu d’acteur. Donc je voulais vraiment que ce soit lui.

Concernant Ryusei Yokohama, nous avions déjà collaboré dans mon film précédent (Rurō no tsuki). C’est quelqu’un de très stoïque. Il était très enthousiaste à l’idée de jouer un acteur de Kabuki, il avait très envie d’interpréter ce rôle de Shunsuke donc j’ai su que je pouvais lui confier ce rôle.

Je dirai que ces deux acteurs sont passionnés mais de manière différente. Ryô Yoshizawa est comme le feu avec une flamme puissante et vive. Ryusei Yokohama, je dirais que la flamme de sa passion ressemblerait plus à de la glace. Si on la touche, on se brule quand même mais c’est une flamme différente de celle de l’acteur principal. Et c’est pour cela que je pense qu’il y avait une bonne alchimie entre les deux acteurs.


4) Ma question : Une question sur cet art traditionnel japonais encore assez méconnu en France. Est ce que vous avez rencontré des défis en termes de technique, de logistique pour faire que les corps et les âmes des acteurs fusionnent réellement sur scène et que la magie opère à l’écran ? C’est ce que j’ai ressenti en tant que spectateur. Je n’ai pas souvenir d’un film aussi beau sur le Kabuki.

La réponse de Lee Sang-il : Oui, je dirai que c’est miraculeux que j’ai pu obtenir des images aussi belles. C’est durant le tournage que je me suis rendu compte de la difficulté que c’est tourner un film aussi détaillé sur le Kabuki. Il y a la lourdeur, le poids des costumes. C’est comme si on avait un futon, une couverture mouillé sur les épaules en permanence. C’est extrêmement lourd et c’est très difficile de se mouvoir avec un costume de Kabuki. Lorsqu’un acteur a effectué un danse, il lui faut du temps pour récupérer. Par conséquent, cela a décalé mon planning.

De la même manière, pour tout ce qui est maquillage, perruque, ce ne sont pas des choses que l’on peut retoucher facilement. Cela a pris beaucoup de temps. Et c’est vraiment pendant que je réalisais le film que je me suis rendu compte combien c’était difficile de reproduire l’univers du Kabuki au cinéma.


5) Ma question : J’étais heureux de voir Ken Watanabe que vous avez dirigé à plusieurs reprises, qui est un des acteurs japonais les plus connus et reconnus en France. Pouvez-vous m’en dire plus sur votre relation ? Est-ce que vous lui avez laissé plus de liberté que pour les autres acteurs ? Ou est-ce que vous lui donniez des consignes précises, sur votre vision de réalisateur pour chaque scène ? 

La réponse de Lee Sang-il : C’est en effet ma troisième collaboration avec Ken Watanabe et donc il y a une très bonne compréhension de ce que je recherche. Après je dois vous dire que l’on a l’impression qu’il joue avec beaucoup de liberté, mais je trouve que c’est dans les moments ou il a de la contrainte qu’il dégage quelque chose de plus fort et séduisant.

Quand son corps est entravé, c’est là où il arrive par son talent à exprimer des choses encore plus intéressantes. Par exemple, dans le film, c’est quand il va prendre de l’âge, que son corps ne lui obéit plus, qu’il ne voit plus très bien. Ce qu’il dégage à ce moment-là, je trouve que c’est encore plus marquant que dans les moments où il a une liberté totale de ses mouvements.


6) Ma question : L’un de mes films japonais préférés est « IKARI » (2016) que vous avez réalisée et que j’ai vu pour la première fois au cinéma en 2019 à la Cinémathèque à Paris. J’étais dans le public lors de votre master class et je vous en remercie. J’ai aimé ce film car il porte un message universel, sur les relations humaines et le thème de la confiance. Sur le fait que quand on rencontre quelqu’un, comment on peut lui faire confiance. Pour cette raison, je pense que ce film va traverser la génération (car il n’est pas moralisateur et toujours d’actualité sur cette colère intérieure). Quel regard portez-vous sur votre film presque 10 ans après sa sortie ?

La réponse de Lee Sang-il : Ce que je recherchais à travers ce film « IKARI », ce n’est pas uniquement exprimer le sentiment de colère. Pour être plus précis, ce que je voulais montrer, c’est que c’est un film sur les personnes qui n’arrivent pas à se mettre en colère. Les personnes qui se sont résignées. Mon but était de montrer la souffrance de ces personnes qui ne sont même plus capables d’exprimer leur colère. Maintenant que vous me faites y repenser, je me souviens que c’était vraiment ça que je cherchais avec acharnement à mettre en scène dans ce film.

Pour revenir au « Maître du Kabuki », il y a aussi pour ses personnages beaucoup de sentiments de colère. Il y a une telle rivalité, jalousie entre Kikuo et Shunsuke. Il y a cette peur de l’échec qui fait qu’ils auraient pu se laisser avaler par ces sentiments. Mais je ne voulais pas qu’ils tombent là-dedans, je voulais justement qu’ils puissent surmonter et dépasser toute cette colère. Et cela rejoint ce concept de « paysage » dont parle Kikuo, qui est en fait son but, cette destination qu’il recherche inconsciemment sans vraiment parvenir à mettre des mots dessus. C’est quelque chose que l’on ne voit pas à l’œil nu. Mais son défi c’était de se rapprocher au plus près de cette destination.

Bande annonce du film Ikari :


7) Ma question : Dans vos films, les paysages et l’environnement jouent presque un rôle narratif. Comment choisissez-vous vos lieux de tournage ?

La réponse de Lee Sang-il : Je dirais que c’est quelque chose de très sensoriel. Pour vous donner un exemple précis, dans IKARI au début du film il y a un meurtre. On voit cette maison, le vestibule, le jardin et puis on voit le coupable. Pour moi, il a été très difficile de trouver la maison qui avait l’apparence idéale et je me souviens avoir visité de nombreux lieux différents. C’était compliqué car je voulais des conditions précises comme l’étroitesse de la rue. Mais ce qui m’a vraiment décidé lorsque j’ai trouvé à la dernière minute le lieu idéal, c’est que j’ai vu cette maison, je me suis dit « on pourrait tout à fait imaginer qu’un meurtre a eu lieu dans cette maison. »

D’ailleurs, j’ai appris par la personne qui habitait là que le locataire précédent avait fait faillite et s’était suicidé (mais pas dans cette maison). C’est vraiment quelque chose de sensoriel, c’est comme cela que je cherche mes décors.


8) Ma question : J’ai voyagé plusieurs fois au Japon et j’aimerais beaucoup y retourner l’année prochaine. Quel lieu vous me conseillez de visiter ?

La réponse de Lee Sang-il : Il y a dans le film « le Maître du Kabuki » un vieux théâtre que l’on voit lors de la première apparition de Kikuo et Shunsuke jeune (mais plus enfants), c’est-à-dire dans les premières scènes où les personnages sont interprétés par Ryô Yoshizawa (Kikuo) et Ryusei Yokohama (Shunsuke). Cela se passe dans un vieux théâtre qui existe réellement et qui est encore en fonctionnement aujourd’hui au Japon, avec au fond une loge pour le maquillage. Le nom de ce théâtre est le « Kabuki Eirakukan » un des plus anciens du Japon. Et je trouve que les lieux aux environs de ce théâtre sont très beaux. Ce n’est pas très pratique pour y accéder, ce lieu est à deux heures en voiture de Kyoto. Mais on a encore l’atmosphère d’antan qui a été conservé à Izushi, petit village situé dans la préfecture de Hyogo.

Ce village est aussi très connu pour ses Soba (nouilles de sarrasin), avec une spécialité qui s’appelle les Sara Soba. En japonais, « Sara » veut dire assiette. Et ces soba sont servies dans plein de petites coupelles qui sont chacune l’équivalent d’une bouchée. J’aime car on peut en manger plein. Et ceux qui en mangent vraiment beaucoup peuvent en manger jusqu’à 30, 40 portions. C’est une destination que je vous recommande et c’est un plat qui est vraiment bon et que je vous conseille.


9) Ma question : est que vous connaissez la France à part sa capitale Paris ? Est-ce que comme d’autres réalisateurs japonais (Kiyoshi Kurosawa par exemple), vous pourriez tourner un film en France ?

La réponse de Lee Sang-il : En France je ne connais que Paris et Cannes (il a participé au festival de Cannes) pour l’instant. J’aimerais réellement visiter d’autres lieux. Concernant l’envie de tourner un film en France, je pense que je dois trouver un lieu idéal, un évènement historique ou un personnage particulier qui m’inspire. Donc pour découvrir et favoriser ce sentiment, il faut je voyage davantage dans toute la France.


10) Ma question : Maintenant que « Kokuho » a été un immense succès mérité au Japon, que votre film a été officiellement soumis comme candidat du Japon et dans la course pour la catégorie « Meilleur film international » lors de la prochaine cérémonie des Oscars en 2026. Quel est votre état d’esprit dans cette perspective ?

La réponse de Lee Sang-il : Je sais que cette année la catégorie des meilleurs films internationaux est très relevée avec d’excellents films. Je me rends compte aussi que ce n’est pas seulement la qualité de mon film qui est importante, mais aussi des choses plus générales qui vont rentrer en ligne de compte.

Je peux vous assurer que je vais faire mon maximum pour remporter cette récompense.


11) Ma question : Il sort en France le 24 décembre, qui est aussi le jour de mon anniversaire. C’est un beau cadeau pour moi, merci. Si vous deviez choisir un message que vous voulez que le public français retienne après avoir vu « le Maître du Kabuki », quel serait ce message ?

3 raisons de voir le film LE MAÎTRE DU KABUKI au cinéma

La réponse de Lee Sang-il : Quand on voit l’affiche du film, c’est vraiment le Kabuki qui est montré dans toute sa splendeur. Mais je voudrais que l’on se concentre pas seulement sur l’aspect Kabuki car c’est aussi un film sur les rapports familiaux, sur l’amitié, la rivalité, le dépassement de soi. Je pense qu’il y a quelque chose de plus universel sur la manière de vivre des gens à l’avenir. C’est un film qui parle de « l’ombre et la lumière » autour d’une carrière d’artiste.

Et la France est un pays qui a beaucoup de respect pour l’art. J’aimerais que le public pense au fait que plus un artiste va prendre une lumière des projecteurs intense, plus une part d’ombre peut aussi s’élargir en parallèle. C’est ce message que j’adresse au public français qui va découvrir mon film au cinéma.

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