Rêve (Yume 夢) est un film d’Akira Kurosawa, sorti en France en 1990. Il est décomposé en 8 séquences, qui nous transportent à la frontière du rêve et de la réalité.
Il s’agit certainement du film le plus personnel de Kurosawa car il est entièrement inspiré des propres songes du réalisateur.
Ayant récemment revu le film sur deux vieux CD (format Divx pour les nostalgiques), j’ai vu ce film en deux parties. Je souhaitais donc reprendre cette structure pour l’analyse du film. A mon sens, les 5 premiers rêves concentrent le coté onirique et poétique du film. Les trois derniers sont plutôt des métaphores apocalyptiques à connotations écologiques.
Allez sans plus attendre, plongeons dans l’intimité du maître Kurosawa.
1/Les cinq premiers rêves :
Présentation :
Soleil sous la pluie : Un enfant désobéit à sa mère pour se rendre dans la forêt embrumée où les renards célèbrent une cérémonie nuptiale sous la pluie. Repéré et frappé par leur malédiction, il ne peut rentrer chez lui et doit aller demander pardon aux renards pour éviter de se soumettre au rite du Hara-Kiri.
Le verger aux pêchers : Le jour de la fête du printemps, un jeune garçon voit surgir les esprits des pêchers que ses parents firent abattre dans le verger familial. Constatant sa tristesse, les esprits entament un ballet afin de laisser au garçon l’opportunité d’admirer une dernière fois leur beauté.
La tempête de neige : Quatre alpinistes à bout de force sont en train d’être piégé dans la montagne par une tempête de neige. Alors qu’ils abandonnent tour à tour, leur chef de cordée a la vision d’une fée qui l’enveloppe d’une douce chaleur et le protège du froid.
Le tunnel : A la sortie d’un tunnel qu’il vient de traverser, un capitaine de l’armée japonaise, rescapé de la guerre, voit surgir les fantômes des soldats de son régiment.
Les corbeaux : Un étudiant en art pénètre dans un tableau de Van Gogh pour partir à la rencontre du peintre français.
« tentative d’analyse »
Chaque rêve entretient un lien direct avec la nature, invitant le spectateur à s’interroger sur les relations complexes qu’il entretient avec elle.
Dans le premier rêve, la nature est personnifiée par des renards. Kurosawa met en avant le rapport sacré entre l’homme et la nature et nous enjoint à constater que l’homme ne doit pas chercher à tout voir, à tout connaître. La nature devrait rester à l’abri du regard de l’homme pour préserver sa beauté et son mystère.
Pourtant, les similitudes entre les hommes et les renards sont flagrantes. Les renards possèdent un corps d’humain, célèbre une cérémonie inspiré d’un cérémonie traditionnelle de mariage japonais et semble emprunt de sentiments humain. Kurosawa gomme donc la frontière à mesure qu’il nous délivre son message. Dés lors, on peut s’interroger sur lien entre ces deux mondes. L’homme peut-il observer et découvrir la nature sans l’envahir et la volonté de la dominer ? Quelles sont les limites à ne pas franchir dans les interactions ? A la fin de la séquence, le jeune homme rejoint les renards pour implorer leur pardon. Va-t-il être accepté et rester avec eux ?
Dans le deuxième rêve, le jeune garçon est confronté aux esprits des pêchers que l’homme à volontairement coupé. Kurosawa continue à nous interroger sur le respect de la vie sous toutes ses formes. Ne passe-t-il pas avant tout par la préservation de la nature ? On constate que l’homme profite souvent de manière abusive de la nature lorsque le rapport de force est déséquilibré.
Toutefois, ce rapport peut facilement s’inverser. C’est ce que montre le troisième rêve. Les éléments, ici une tempête de neige, seront toujours plus puissants que l’homme. Dés lors il ne sert à rien de chercher à lutter contre elle. Il incombe aux hommes d’être à l’écoute de son environnement pour découvrir combien il recèle des trésors de douceur et de protection (une voix douce et féminine à la place du vacarme de la tempête).
Plus que la nature, c’est bien l’homme qui est le plus grand danger pour l’homme. Le quatrième rêve en est illustration, les ravages de la guerre laissant un capitaine orphelin de sa garnison et rongé par le remord. Du tunnel, grand trou noir qui figure son inconscient, surgissent les victimes mortes sous sa responsabilité. Mais l’homme est aussi capable d’analyse ce qu’il a fait de mal pour essayer de s’en repentir. Kurosawa nous montre ainsi un homme à la conscience tourmentée, rongé par le remord, qui demande et obtient le pardon de ses hommes.
La rencontre avec un artiste (cinquième rêve) nous montre quelles relations les hommes doivent conduire avec la nature. L’homme, comme tout autre chose est une partie intégrante de la nature. Celle-ci est puissante, elle avance (l’image de la locomotive lancée à pleine vitesse) et change sans cesse (la différence des tableaux en fonction des saisons, le jour et la nuit). Dés lors, pour nous, il convient de l’accueillir, de l’admirer, d’être dans la mesure du possible en harmonie avec la nature. Lors de la conversation avec le peintre, les termes sont saisissants :« il faut que je me dépêche », « Je consomme ce décor naturel ». Il nous invite à être itinérant, pour saisir, contempler, voire même « dévorer » cette beauté naturelle. Pour illustrer cela, Kurosawa va mettre en scène son protagoniste dans les tableaux, telle qu’elle a été croquée par Van gogh, dans de magnifiques plans.
2/Les trois derniers rêves :
Présentation :
Le mont Fuji en rouge : A la suite d’une explosion nucléaire, le mont Fuji entre en fusion et répand d’épais nuages sur une foule en panique.
Les démons gémissants : Le monde détruit, quelques rares démons avec des cornes survivent dans un environnement apocalyptique.
Le village des moulins à eau : Dans un village isolé, la nature a été miraculeusement préservée. Un homme centenaire nous livre un message émouvant.
« tentative d’analyse »
Le sixième et septième rêves/cauchemars nous livre une vision post-apocalyptique du monde, suite aux désastres causés par l’homme. Sous prétexte du progrès, l’homme fait courir à l’humanité de graves dangers. La séquence de la centrale nucléaire porte un écho récent terrifiant. En voyant le salary-men, je ne peux pas m’empêcher de penser aux dirigeants de Tepco, impuissants et lâches devant le monstre qu’ils ont créé.
L’image des pissenlits géants et des démons est aussi caractéristique de cet écueil de l’humanité. En voulant tout maîtriser, l’homme parvient au résultat inverse. Il est alors écrasé par le chaos et la monstruosité.
Le dernier rêve apparait comme une recherche de la plénitude pour un Kurosawa déjà assez âgée. Lui, le vieil homme qui a renoncé au progrès, nous livre ses pensées profondes sur la nature. Ce passage est particulièrement émouvant.
3/La mise en scène :
Sans détour, il faut dire que dans ce film le spectateur est rapidement emporté par un déluge d’émotions. La poésie et l’onirisme sont remarquablement exprimés au travers de la mise en scène. On relève le souci esthétique apporté à chaque tableau. Les deux premiers nous offrent une explosion de couleurs qui nous donne vraiment l’impression d’être dans un rêve. Le plan de l’arc en ciel ou la scène dans mariage dans la forêt ou la danse des esprits des pêchers m’ont laissé scotché dans une impression de plénitude zen… Les effets spéciaux (bien qu’ayant mal vieillis pour certains), le cadrage privilégiant les plans fixes et la lenteur de l’action renforcent ce sentiment d’irréalité.
Le film est également imprégné de culture japonaise : les paysages, les costumes, la musique permettent à ce long métrage d’avoir une véritable authenticité.
La performance des acteurs doit aussi être mise en avant. Les mouvements et le jeu des expressions étant souvent privilégiés aux dialogues. Seul bavard, le guest Martin Scorsese campant un Van gogh à moitié fou, plus vrai que nature !
Mon rêve préféré est surement le premier en raison de son immersion totale dans la nature et le japon traditionnel. Le ballet matrimonial est particulièrement envoutant dans cette forêt ou les arbres immenses semblent être les témoins discrets de la cérémonie. Zut, où est ce que j’ai mis mon masque de renard ??
Et vous, quel est votre rêve préféré ?
5 raisons de voir le film :
+ Une mise en scène magique
+ Une ambiance envoutante
+ Une construction du film en huit histoires courtes
+ Un florilège de couleurs
+ Un message profond sur l’écologie
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La bande annonce :