C’est un film d’animation que j’attendais. « Saules aveugles, femme endormie » n’est pas un film d’animation japonais mais un film d’animation que se passe au Japon. Dans un univers alternatif, ancré dans le quotidien à Tokyo, s’invite un univers fantastique.
Ce film sort le 22 mars 2023 au cinéma. Il est réalisé par Pierre Foldes. Ce film d’animation adapte six nouvelles écrites par Haruki Murakami. A ne pas confondre avec Ryū Murakami 🙂
Je l’ai vu en avant première à la cinémathèque française, en présence du réalisateur. Il est distribué par Gebeka Films. Voici mes impressions, sans spoiler.
L’histoire : Un chat perdu, une grenouille géante volubile et un tsunami aident un attaché commercial sans ambition, sa femme frustrée et un comptable schizophrène à sauver Tokyo d’un tremblement de terre et à redonner un sens à leurs vies.
« Une animation originale et musicale »
« Saules aveugles, femme endormie » n’est pas un film d’action. Ce film d’animation dévoile une véritable sensibilité.
En miroir au quotidien de personnages ancrés dans leur réalité à Tokyo, s’invite une part de fantastique. Dans cette forme de solitude urbaine, à laquelle je peux aisément m’identifier, chacun des 3 personnages va vivre son aventure, sa parenthèse inattendue.
Quelques jours après le tsunami qui a frappé la côte Pacifique du Tōhoku en 2011, Kyoko quitte subitement son mari Komura après avoir regardé les images du tremblement de terre cinq jours d’affilée. Komura est désemparé. Il entreprend un voyage dans le nord pour y livrer une boîte au contenu énigmatique à deux jeunes femmes. Son collègue de bureau, Katagiri, un modeste agent de recouvrement, rentre chez lui un soir et se retrouve nez à nez avec un crapaud de deux mètres de haut lui demandant de l’aide pour sauver Tokyo d’un nouveau tremblement de terre imminent. Au travers de souvenirs, rêves et fantasmes, Kyoko, Komura et Katagiri, influencés par leurs visions du tremblement de terre – sous la forme de saules maléfiques, d’un lombric géant, d’un vœu secret, d’une boîte mystérieuse et d’un corridor sombre et sans fin tentent de renouer avec eux-mêmes.
Le réalisateur Pierre Földes nous a dévoilé les détails du processus créatif. Plus de 3 ans de travail, une construction fragile ou il a déclaré procéder par petites touche. Pierre Földes est musicien, né aux États-Unis de parents hongrois et britannique, il est élevé à Paris, il a étudié le piano et la composition. Faire du cinéma pour lui, c’est comme écouter des notes.
Concernant la technique d’animation, il présente sa vision du concept de « Live animation ». Un assemblage de techniques.
D’abord le Story board. Puis une Timeline (chronologie de l’animation). Vient ensuite un véritable tournage avec des comédiens et comédiennes qui jouent les différentes scènes. La technique utilisée pour créer l’animation est la rotoscopie. C’est une technique qui consiste à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vue réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d’animation. Ce procédé permet de reproduire avec réalisme la dynamique des mouvements des sujets filmés.
Le résultat est étonnant. On perçoit l’importance et le niveau de détail des expressions. L’importance des mouvements de tête. Les détails et le travail sur le visage, toutes les expressions. Cela raconte quelques chose d’essentiel qui enrichit le discours. Pour cela, les visages sont animés en 3D, là ou les décors sont en 2D (sauf une scène ou Katagiri se fait tirer dessus au Kabukicho).
Les choix de la musique sont très pertinents. La musicalité de l’animation construit une ambiance. Qui s’éloigne du Japon idéalisé mais qui nourrit une atmosphère. La musique est en cohérence avec l’identité du film. Mozart ouvre et cloture le film comme ultime message.
Enfin un mot sur les dialogues, très nombreux, et les voix françaises. J’avoue que j’ai été surpris de voir un film avec des visages japonais et des voix françaises. Le doublage est très musical aussi, avec des prises de son réalisés par une flutiste. Les voix racontent aussi une histoire. J’avoue que j’aurai préféré des voix japonaises. J’espère que le film sortira aussi au Japon et que ça pourra se faire.
Je précise que ce film d’animation est une co production France-Luxembourg-Canada-Pays-Bas. Et j’apprécie ce métissage créatif. A l’image de la tortue rouge de Michael Dudok de Wit, c’est ce genre de film que j’apprécie qui propose quelque chose de différent.
« Un récit puissant entre réalité et imaginaire »
Ce que j’ai le plus apprécié dans ce film, c’est son aspect introspectif. Les dialogues sont nombreux mais « Saules aveugles, femme endormie » laisse place à nos voix intérieures , à travers celles des personnages, qui nous pousse à nous interroger sur le sens de la vie.
Pour moi c’est un film qui parle avant tout d’imagination. Qui se reflète dans notre imaginaire. Comme un fleuve d’émotions intérieures, chaque affluent dévoile des sentiments enfouis, des idées inachevées, des souvenirs qui convergent vers un chemin naturel à la fin du film. Et ce cheminement permets à chaque personnage d’y voir « un peu » plus clair. C’est une quête de soi que je trouve très interessante dans un film d’animation qui participe autant à l’identité du film qu’à sa fidélité à l’oeuvre de Murakami. C’est très différent des films de Makoto Shinkai. Son regard sur un Japon est plus au moins réel, plus ou moins pertinent. Sur le fond, je pense que ce n’est pas le but de ce film. Il préfère se pencher vers la suggestion, renverser quelques a priori pour nous pousser à la réflexion.
Le film dévoile aussi une partie fantastique, propre au récit de Murakami, auquel je suis moins réceptif. J’ai apprécié le personnage de Frog, facétieux et très respectueux, malgré le fait qu’il se soit introduit dans l’appartement de Katagiri pendant son absence. Aussi bien élevé que délicat, c’est un personnage marquant que vous fera sourire. L’intrigue nourrit une impression d’étrangeté sur réaliste, que je pourrait décrire comme celle que l’on peut ressentir en voyage quand on débarque dans une ville inconnue.
Pierre Földes déclare : « les personnages du film sont dans une impasse, mais l’ignorent. Ils dorment. Un séisme aussi réel qu’intérieur les aide à ouvrir les yeux sur des vérités qu’ils se sont cachés. Je ne cherche pas à clarifier, à apporter de conclusion, ni à énoncer les choses. Ainsi à la fin du film, les personnages n’ont pas “résolu” leurs problèmes mais ils sont parvenus à changer de cap, à prendre conscience. Mon but est de créer un mystère propre à inspirer un questionnement à chaque instant. Je ne cherche pas à décrire la réalité mais plutôt à la transposer dans une vision assez expressionniste ».
« Ce qui est visible pour tout le monde n’est peut-être pas le plus important », entend-on à un moment dans le film « Saules aveugles, femme endormie ». Ce qui reviendrait à parler « des choses cachées derrière les choses » pour faire allusion à une célèbre réplique signée Jacques Prévert.
La bande annonce :
https://japoncinema.com/les-films-danimation-japonais-a-voir-au-cinema-en-2022/
https://www.youtube.com/channel/UCeLmCGO5ksnjMM5MLrhCEDw