L’histoire de « l’œuf de l’ange », c’est celle d’une œuvre d’art. Elle s’ouvre sur un univers postapocalyptique fait de silences et de ruines, une petite fille conserve précieusement un œuf, devenu le dernier vestige de la vie. Couleurs subtiles, lignes épurées et paraboles bibliques font la beauté d’une ode à la mélancolie, poignante contemplation d’une humanité en quête de sens. Dans cet article, je vous donne trois bonnes raisons d’aller voir ce film unique au cinéma, j’espère dans un cinéma proche de chez vous.
La bande annonce :
3 raisons de voir ou revoir ce film d’animation
1) Un choc visuel sublimé sur grand écran

L’Œuf de l’ange est un film où chaque plan fonctionne comme une peinture en mouvement. En salle, les immenses architectures gothiques et les paysages ruinés deviennent presque oppressants tant ils semblent absorber le regard.
Par exemple, la longue séquence où la jeune fille marche dans une ville désertée, entourée de bâtiments démesurés aux vitres brisées, gagne en ampleur lorsqu’elle s’étend sur toute la largeur d’un écran de cinéma. Les silhouettes de chasseurs pétrifiés, figés en pleine action, se détachent dans une obscurité d’encre qui ne peut vraiment être ressentie qu’en projection. Le son étouffé de l’eau, omniprésent, crée en salle une immersion totale.
C’est un film qui repose sur la lenteur, les détails, les respirations, et donc l’expérience sensorielle.
L’œuf de l’Ange a marqué un tournant dans la carrière du réalisateur visionnaire Mamoru Oshii, connu pour ses œuvres révolutionnaires telles que Lamu : Un rêve sans fin, Ghost in the Shell et Ghost in the Shell 2 : Innocence. En collaboration avec Yoshitaka Amano, aujourd’hui illustrateur de renommée internationale, Oshii a créé un autre monde surréaliste et envoûtant.
Le film se caractérise par une palette quasi monochrome, des dialogues minimaux, des plans inhabituellement longs et un style de montage extrêmement sobre avec seulement environ 400 coupes, soit environ un tiers du nombre habituellement utilisé dans les longs métrages d’animation. Cette approche visuelle austère reflète avec force le thème récurrent du doute existentiel chez Oshii, qui sous-tend toutes ses œuvres ultérieures.
2) Une expérience philosophique qui invite à l’introspection

Le film ne raconte pas une histoire de manière traditionnelle : il explore des thèmes comme la foi, l’attente et la perte à travers des images symboliques. En salle, où rien ne vient détourner ton attention, cette dimension contemplative s’amplifie. C’est un film qui se vit comme un rêve lucide. Cette combinaison de philosophie murmurée et de visions hallucinées fait du film un poème métaphysique d’une audace rare dans l’animation.
Prenons l’exemple de la scène où le garçon raconte sa version réinventée du mythe de l’Arche de Noé : il parle calmement, presque sans émotion, tandis que les ombres de poissons géants traversent silencieusement les rues, comme des esprits errants. Ce contraste — un monologue métaphysique et des visions fantomatiques — atteint un niveau de malaise et de beauté difficile à retrouver en visionnage domestique.
Le film nous pousse à réfléchir : à ce que signifie protéger quelque chose, à ce que signifie croire, à ce qu’on fait quand tout semble perdu. En salle, l’impression d’être face à un rituel, ou à une parabole, devient palpable.
Le film de Mamoru Oshii et Yoshitaka Amano se nourrit autant du passé qu’il a influencé le futur. Voici un tour d’horizon des œuvres qui ont nourri et qui se sont nourries de L’Oeuf de l’ange :
STALKER : l’œuvre d’Andrei Tarkovski a exercé une grande influence sur Oshii, notamment Stalker, errance post-apo quasi muette dans un monde en ruines, dont le cinéaste fera un remake à peine déguisé avec Avalon.
LUPIN :
L’Oeuf de l’ange est né d’un projet de film Lupin avec Yoshitaka Amano au design où le héros devait voler le fossile d’un ange dans un monde postapocalyptique. L’idée a été rejetée mais Oshii reprit cette idée pour bâtir un film original autour d’elle.
LA MÉNAGERIE DE VERRE :
D’après Oshii lui-même, la relation entre le garçon et la fille est inspirée de la pièce de théâtre de Tennessee Williams : une histoire de famille dans un Sud décadent, où une jeune femme malade collectionne précieusement des animaux en verre.
3) Une œuvre unique dans l’histoire de l’animation par le maître Mamoru Oshii

L’Œuf de l’ange est essentiel pour comprendre l’histoire de l’animation japonaise : il annonce des thèmes, un univers et des réflexions qui nourriront plus tard Ghost in the Shell, Serial Experiments Lain ou même Neon Genesis Evangelion. Le revoir en salle, avec le grain de la pellicule restaurée et les contrastes respectés, permet de saisir la finesse du travail d’Amano sur les designs, la texture organique des décors, et l’audace esthétique de l’ensemble. C’est une œuvre dont la puissance plastique exige l’obscurité d’un cinéma, où chaque détail résonne comme un fragment d’un tableau apocalyptique.
Je considère cette œuvre comme un jalon essentiel de l’histoire de l’animation, dont la restauration en salle révèle toute la puissance troublante et hypnotique.
La scène des pêcheurs est particulièrement révélatrice : des silhouettes d’hommes courent à travers la ville en tentant d’attraper de gigantesques poissons invisibles, lançant leurs harpons vers des proies qui ne sont plus que des ombres. En projection, cette séquence prend une ampleur mythologique, comme une fresque animée sur la vanité des gestes humains.
Voir ce film dans les conditions pour lesquelles il a été conçu, c’est redonner sa place à une œuvre pionnière, trop souvent enfermée dans le statut de curiosité obscure.
Ce film est aussi une source d’inspiration. Par exemple, BERSERK (Kentaro Miura), dès les premiers tomes du manga, Guts découvre une « Béhérit », une sorte d’œuf maléfique qui permet d’invoquer des démons venus d’un autre monde.
Autres exemples avec les jeux vidéo « SHADOW OF THE COLOSSUS » de Fumito Ueda, on traque et on tue des titans mélancoliques, statues dominant un monde éteint, héritiers de l’errance dépouillée de l’Œuf de l’ange. La « TRILOGIE DARK SOULS », la dark fantasy qui irrigue les jeux vidéo d’Hidetaka Miyazaki (Bloodborne, Elden Ring) se nourrit aussi de L’Œuf de l’ange, notamment dans sa quête illusoire de la promesse d’une résurrection d’un monde détruit.
Je pense que l’ambiance de l’Œuf de l’Ange va traverser les générations et continuer à influencer les artistes à travers le monde.
