Yakusho Koji était l’invité exceptionnel du festival Kinotayo 2024. On peut dire qu’il a illuminé cette 18ème édition du festival du cinéma japonais contemporain. J’ai eu l’honneur et le bonheur de le rencontrer le 13 décembre pour lui poser quelques questions, en compagnie de Marc du site EastAsia. Merci à lui.
Comment vous décrire ce que je pense de Yakusho Koji, ce qu’il représente pour moi. Un acteur, une voix, un visage, une silhouette de cinéma. C’est bien plus que cela. Je dirai simplement qu’il a traversé mon histoire avec le cinéma japonais depuis mon enfance. Il y a des artistes que vous marque dès le premier film et vous suivent toute votre vie, en forme d’aventure cinématographique. C’est mon cas avec Yakusho Koji, depuis que je l’ai vu pour la première fois dans « Tampopo » de Jūzō Itami, depuis que « Cure » m’a hypnotisé, depuis qu’il m’a conquis avec son rôle dans « Unagi ». Et encore plus depuis que j’ai vu et revu « Perfect Days » de Wim Wenders, une interprétation inoubliable de Hirayama San (son nom en référence aux époux Hirayama dans Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu). Aujourd’hui, il est pour moi autant un artiste qu’une source d’inspiration.
Je pense aussi qu’il m’a guidé dans mes voyages au Japon, de Tokyo à Nagasaki, à travers ses rôles (ses escapades à vélo), il m’a donné envie de découvrir son pays. Je vous passe le nombre de fois où au Japon, j’ai imaginé revivre une scène de ses films et pensé à un dialogue en forme de leçon de vie qu’il m’a transmis. Au delà des mots et de cette quête d’incarner des personnages, les émotions qu’il parvient à transmettre sont autant une invitation à la réflexion qu’à célébrer l’instant présent. Les réalisateurs, actrices, et toutes les équipes avec qui il a travaillé une invitation à célébrer le collectif, la fidélité et l’amitié.
Imaginez un peu mon « état » de stress et d’excitation lorsque je me suis rendu à la maison du Japon ce vendredi 13 décembre pour le rencontrer. Yakusho Koji nous a accordé un entretien en 4 questions (mené en tandem avec Marc). Il a répondu avec bienveillance, humour et une grande générosité à nos questions sur le travail de comédien, sa découverte du cinéma et le doublage pour l’animation. Un moment que je garde en déjà en souvenir où le temps est resté pour moi suspendu, transporté dans un de ses films 🙂
Au jour où je publie cet article, presque un mois après l’interview, j’ai toujours ce sentiment d’avoir rencontré quelqu’un de confiance en qui j’avais déjà confiance, depuis qu’il m’a invité à découvrir son cinéma à travers mon petit écran de télévision un soir d’hiver dans les années 90. Yakusho Koji est un acteur que j’admire et que je respecterai toujours profondément. D’ailleurs, je prépare un long article pour vous présenter la liste de tous ses films. Et je suis impatient de découvrir ses prochains !
Je tiens à remercier vivement Nousha, Shion, Pascal et toute l’équipe du festival Kinotayo pour l’organisation du festival et le travail impressionnant accompli. Et je remercie infiniment Megumi pour la traduction pendant l’entretien.
Pour rappel, la 18 édition du festival Kinotayo a mis en lumière Yakusho Koji, avec 7 films très variés : comédie, drame, action, fantastique, et même animation avec le film de clôture, Totto-Chan : la Petite Fille à la fenêtre de Yakuwa Shinnosuke, pour lequel il prête sa voix. L’acteur multi-primé au Japon et à l’international (la liste des récompenses est très longue) est venu à Paris pour échanger avec le public après la projection de classiques comme Shall we dance? de Suo Masayuki, L’Anguille d’Imamura Shohei ou Cure de Kurosawa Kiyoshi. Une sélection hétéroclite qui montre le côté caméléon de Yakusho, aussi convaincant en salaryman épris de danse qu’en inspecteur de police dépassé par la réalité qui l’entoure.
Les images sont issues de la cérémonie de clôture du festival avec la remise d’un soleil d’or à Koji Yakusho.
1)Question de Benjamin : « tout d’abord, je voulais vous remercier de m’avoir fait découvrir le cinéma japonais, car le premier film que j’ai vu, c’est mon père qui me l’a montré, c’était Tampopo. Lorsque j’étais adolescent, je me suis passionné pour les films de Kurosawa Kiyoshi, et l’année dernière, j’ai vu avec ma mère le film Perfect Days, et elle a beaucoup pleuré. Le point commun de tous ces films, c’est votre présence. Donc je pense que vous avez participé à mon éducation, avec mes parents.
Je voulais vous remercier et je suis impatient de montrer vos films à mon fils. Je ne sais pas par lequel je vais commencer. Comment et pourquoi êtes-vous devenu acteur ? »
Réponse de Yakusho Koji : Je ne sais pas quel âge vous aviez, mais c’est surprenant que votre père vous ait montré Tampopo. Un jour, on m’a donné un billet pour une pièce de théâtre dans laquelle jouait Nakadai Tatsuya [célèbre acteur passé par Kobayashi Masaki, Gosha Hideo et Akira Kurosawa, et qui fonda en 1975 une école d’art dramatique]. J’ai vraiment été ému et impressionné. D’habitude, les pièces dans lesquelles jouait Nakadai coûtaient trop cher pour moi, je ne pouvais pas me permettre d’y aller. Par la suite, je suis allé voir d’autres pièces jouées dans un petit théâtre où le billet ne coûtait que 1 000 yens. J’ai découvert de jeunes acteurs passionnés par leur métier. Ils n’étaient pas forcément toujours intéressants mais leur dévouement me faisait envie. Je me suis dit que jouer sur scène devait être plus amusant que d’être spectateur.
2)Question de Marc : vous évoquez le théâtre, mais dans les années 1970, quand vous étiez adolescent, à l’amorce de votre votre carrière, quel était votre rapport au cinéma ? Regardiez-vous plutôt des films de la Nouvelle vague ou plutôt des kaiju et films plus anciens ?
Réponse de Yakusho Koji : Je voyais pas beaucoup de films à l’époque, mais dans mon adolescence, j’allais plutôt dans un cinéma qui passait des films occidentaux dont des films français. J’ai vu quand même pas mal de films français parce que je pouvais apprendre des choses, notamment avec les scènes érotiques.
3)Question de Benjamin : j’aime autant le cinéma japonais que le cinéma d’animation et vous avez doublé des paires, deux personnages dans les films de Hosoda Mamoru, le Garçon et la Bête et Mirai, ma petite sœur, Quel est votre retour d’expérience sur ces deux films. Comment avez-vous ressenti cette expérience, différente du métier d’acteur filmé ?
Réponse de Yakusho Koji : J’aimais déjà beaucoup les films de Hosoda. Le Garçon et la Bête était ma première participation à l’animation. Hosoda m’a montré un énorme album de dessins, très épais, une sorte de storyboard. J’ai compris qu’il préparait son film de façon très méticuleuse. J’ai aussi été impressionné par la beauté de ses dessins. Bien sûr, je ne suis pas vraiment un expert du doublage, j’admire le travail des Seiyū, et j’aimerais bien continuer à le faire. Je pense que le film d’animation a une certaine liberté que n’ont pas les films en prise de vue réelle parce qu’il peut créer un univers très riche qui ne se réaliserait pas dans un film de fiction en prise de vue réelle. J’envie un peu les personnes qui travaillent dans le cinéma d’animation.
4)Question de Marc : en 2009, vous avez réalisé le film Gama no abura. Qu’est-ce qui vous a poussé à passer derrière la caméra ? Est-ce une expérience que vous souhaitez renouveler ?
Réponse de Yakusho Koji : Sur les tournages, je trouve que le réalisateur a un rôle très classe. Ce sont d’ailleurs des membres de l’équipe d’Imamura Shohei qui m’ont dit que je serais sans doute capable de passer derrière la caméra. Je me suis pris au jeu et j’ai fini par réaliser Gama no abura. Le tournage a été vraiment amusant. Par contre, je joue aussi en tant qu’acteur. Si j’avais pu me concentrer uniquement sur la réalisation, cela aurait pu être encore plus amusant, et donc j’aimerais bien tenter une nouvelle fois l’aventure en tant que réalisateur si je trouve un script qui m’intéresse.