L’attaque des titans (shingeki no kyojin) est une des oeuvres (manga et l’anime) les plus marquantes de ces dernières années. En témoigne l’engouement suscité par la venue de son auteur, Hajime Isayama en France à la 50e édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Tout le monde en parlé. Léa Salamé à la radio, la grande librairie à la TV, toute la presse écrite…Que ça fait plaisir de se dire qu’il parait loin de le temps ou l’animation japonaise était relégué au rayon « japoniaiserie », critiques acerbes et gratuites de la part des intellectuels et des politiques.
Le plus intéressant, c’est d’analyser les raisons de ce succès, mérité, qui révèle le talent et le sens de l’observation d’Isayama. Je pense que l’on se ne rend pas encore assez compte dans quelle mesure l’attaque des titans est une synthèse, de la pop culture, non de la culture en général, en forme de rhizome.
Dans cet article j’ai envie d’expliquer les origines de cette oeuvre. Malgré les dizaines de questions posées par les journalistes et les réponses pleines de sens et de modestie d’Isayama, des zones d’ombres s’effacent mais certains mystères demeurent. Nous sommes loin d’avoir percé tous les secrets de l’attaque des titans.
Pour mesurer la richesse de cette oeuvre, on va regarder dans plusieurs directions pour mesurer, se donner une idée de multiples sources d’inspirations de son auteur. Les influences qui viennent de sa vie, de l’histoire, du cinéma, de la littérature, de la philosophie. Le mangaka a magnifié toutes ces références au service de sa créativité et de la narration du récit.
Lui s’interroge encore sur le reflet et la valeur de son oeuvre. Dans un interview récente (que vous pouvez retrouver en fin d’article), il nous fait part de ses doutes à se considérer comme un artiste véritable, il juge son trait de dessin pas assez bon. Je crois surtout qu’il a adopté cette posture en réaction à l’avalanche de louage qu’il a reçu lors de son voyage en France. Comme pour se préserver
Pour tenter de reconstituer ce puzzle (démarche qui est veine), j’ai essayé de recenser quelques pièces éparpillées ici et là. Avant de commencer, une précaution s’impose : l’oeuvre est gigantesque donc ma prétention est de vous donner un modeste aperçu tant ses sources d’inspirations sont larges et variées.
Une chose est certaine, l’attaque des titans n’aura pas de suite. Isayama a d’autres projets. « C’est œuvre est complètement terminée » a-t-il confirmé lors de son passage en France. Son rêve est maintenant d’ouvrir un Onsen. Un nouveau projet titanesque !
SON EXPERIENCE PERSONNELLE
1)Son enfance : les montagnes d’Oyama où il a grandi
Durant son enfance, Hajime Isayama a vécu dans un village entouré de montagnes. Il a toujours eu ce désir d’aller au-delà de ces montagnes et c’est ce dont il s’est inspiré pour son oeuvre.
2)L’incident du cyber café :
Hajime Isayama révèle que l’idée des Titans lui est venu quand il a rencontré un client ivre au cybercafé où il travaillait.
Il s’est rendu compte, par l’incapacité du client à communiquer correctement, que l’animal le plus familier et le plus effrayant au monde est en fait, l’être humain.
LE CINEMA
-Godzilla contre Biollante (1989)
Profondément marqué par sa découverte durant son enfance, c’est en sortant de cette séance que serait née en lui la vocation de devenir dessinateur.
L’histoire de ce film : Quelques cellules de Godzilla sont récupérées à Tokyo sur le lieu de son combat précédent. Le professeur Shiragami est chargé de les étudier, mais malheureusement le laboratoire est attaqué et sa fille est tuée. Le professeur abandonne le projet, et se consacre à une rose, trouvée près du corps de sa fille, et dans laquelle l’âme de cette dernière s’est, pense-t-il, réincarnée. Cinq ans plus tard, le professeur est recontacté pour créer une arme bactériologique à partir des cellules de Godzilla, car ce dernier est en train de se réveiller. Mais le professeur Shiragami mélange en fait les cellules du monstre avec celles de la fameuse rose qui est en train de mourir. Cela va donner naissance à Biollante.
-Jurassic Park (1993)
Hajime Isayama a confié s’être inspiré du film de Steven Spielberg sur le principe d’« être mangé par une chose énorme », un parallèle entre les dinosaures de Jurassic Park et les Titans de SNK.
Certaines capacités de Titans seraient aussi inspirées par les dinosaures. Enfin sur le fond certains messages font échos notamment sur une société de contrôle qui éclate pour nous dépasser, pour reprendre le pouvoir et nous écraser.
LA PEINTURE
NORANDINO ET LUCINA DÉCOUVERT PAR L’OGRE (1624)
Isayama puise aussi son inspiration de peintures classiques, avec certains tableaux historiques qui reflètent le destin de géants qui s’attaquent aux humains. En 1624, l’oeuvre de 1624 Giovanni Lanfranco illustre le poème Orlando Furioso de Ludovico Ariosto : Norandino et Lucina découverts par l’Ogre. Il est hébergé à la Galleria Borghese, à Rome.
Francisco de Goya (1746 -1828)
Après avoir été confronté à la guerre que le peintre espagnol a représenter une sombre dystopie de la réalité. A partir de 1808, sa vie est bouleversée par la guerre d’Indépendance espagnole. Ses œuvres sombres sont révélatrices de la cruauté humaine. Pour de nombreux historiens de l’art, El tres de mayo de 1808 est la plus grande peinture anti-guerre.
Deux tableaux pourraient avoir inspirés Hajime Isayama. Saturne dévorant un de ses fils et Le Colosse.
Le tableau Kaiju de Kiyoshi Yamashita (1922-1971)
On va consacrer notre premier thread au tableau Kaiju de Kiyoshi Yamashita. Un tableau qu’Hajime Isayama avait déjà évoqué à sa conférence de New York . pic.twitter.com/6LWsxjf0U8
— ProfesseurRajax (@ProfesseurMajax) January 29, 2023
LES MANGAS
Jigoku Sensei Nube (1993)
Hisayama a révélé que l’oeuvre de Makura Sho & Takeshi Okano, Jigoku Sensei Nube l’a traumatisé pendant son enfance. En particulier ce passage où la Joconde sort de son tableau pour dévorer toutes les personnes qui passaient à portée de sa tête démesurée.
Arms de Ryōji Minagawa (1997)
C’est en lisant Arms qu’Isayama a compris le pouvoir de fascination d’un manga. Cette oeuvre lui a donné l’envie de dessiner. Il a déclaré qu’il lui doit sa vocation de mangaka. Arms l’a beaucoup inspiré pour travailler certaines scènes de l’attaque des titans.
Evangelion (et les autres « mecha »)
Bien que l’Attaque des Titans ne se déroule pas dans le futur ni avec des robots, on peut relever, de manière presque évidente, des traits qui le rapproche du genre Mécha par plusieurs traits.
La tailles des titans, leur force surhumaine mais aussi le fait qu’ils puissent être controlés de manière (plus ou moins) consciente. Neon Genesis Evangelion a introduit les méchas « vivants », le lien entre le pilote et sa machine, ce lien entre celui qui contrôle et celui qui est contrôlé (qui peut s’inverser). Nul doute que l’oeuvre d’Hideaki Anno a inspiré Isayama.
Une illustration :
Dans Evangelion, l’Entry Plug qui s’insère dans la nuque de l’Evangelion. Le pilote peut s’assoir en position semi-allongé à l’intérieur sur un siège où se trouve les différents éléments nécessaires au pilotage. Bien que l’Entry Plug soit opaque, un écran est disposé devant lui et lui fourni un large champs de vision reprenant celui des yeux de l’Eva.
Dans l’attaque des titans, pour se transformer, ils doivent subir une blessure qui les fait saigner, comme lorsqu’ Eren Jäger se mord la main pour protéger Mikasa et Armin. Après leur transformation, leurs corps humains demeure dans la nuque du corps de leurs Titans, d’où ils le contrôlent. Ils fusionnent avec la chair du Titan, ce qui ralentit considérablement leurs mouvements. Si le corps d’un Titan est poussé à bout de force, le corps de l’humain qui le contrôle est extrait inconscient de la nuque du Titan.
LES JEUX VIDEOS
LES VOYAGES
Bien qu’Isayama n’ait jamais confirmé l’information, nous sommes nombreux à penser que la ville allemande de Nördlingen a inspiré l’architecture et les remparts du district de Shiganshina. A vous de juger.
Ville historique située en Bavière, Nördlingen a conservé son aspect médiéval et ses remparts intacts. Comme la cité de Carcassonne 🙂
LA MYTHOLOGIE
On peut relever plusieurs ressemblances entre l’Attaque des Titans et la mythologie Nordique. Voici quelques illustrations :
- La ville de Midgard et la région de Tartare : Dans la mythologie nordique, Midgard possède une fortification érigée par les dieux pour se protéger des Géants. On retrouve cette conception avec les murs Maria, Rose et Sina dans l’Attaque des Titans.
- Le personnage d’Ymir tient également son prénom d’un personnage de la mythologie nordique. Ymir, est la créature fondatrice des géants (les jotünn). Dans le manga comme dans la mythologie, Ymir eut trois enfants. En l’occurrence l’homme, la femme et l’enfant.
- Les jotünn sont en guerre contre les dieux nordique vivant à Asgard, une cité dont les murs eux même ont été érigé par les géants.
- Dans la mythologie nordique les géants ont le don de se métamorphoser
- la course poursuite entre le titan féminin et le bataillon d’exploration rappelle beaucoup la course a cheval entre le dieu Odin et le géant Hrungnir. Dans les deux cas, il y avait un objectif d’amener le Titan vers un point stratégique pour le neutraliser (source twitter manga-fact)
L’HISTOIRE
Un élément qui fait la richesse et la complexité de ce manga/anime est son histoire, le déroulement du récit et les retournements de situation. Elle est surtout bien plus complexe et subtile qu’il n’y parait. L’attaque des titans n’est pas qu’un déluge d’effets visuels.
Avec différents degrés de lecture, de points de vue, SNK est un miroir de notre société, une mise en perspective de notre histoire avec d’innombrables révélations et retournement de situations. Elle dévoile une évolution unique, par delà le bien et du mal, au delà de tout manichéisme. Un constat qui vient s’ancrer dans notre réalité. Hajime Isayama est un bâtisseur, architecte sans concessions sur le destin tragique de l’humanité.
De nombreux points de l’histoire de L’Attaque des Titans reflètent aussi l’observation de l’histoire contemporaine. La volonté de pourvoir, les mensonges. Tous ce qui fait qui fait l’origine des conflits.
Maia aussi la dissimulation, la manipulation : les Eldiens habitant sur l’île du Paradis ne savaient rien des origines des titans, ni du passé de l’empire d’Eldia.
A l’extérieur, Les Mahr culpabilisent les Eldiens, ils favorisent leur discrimination, légitiment leur surveillance. Toutes les méthodes des régimes fascistes.
L’Attaque des Titans explore cette construction (et une dé-construction) de la société elle-même. On peut y voir une inspiration de l’allemagne à la période la plus sombre de son histoire. Le nom des personnages, l’architecture de la ville fait penser à Nuremberg. Un empire qui exploite un peuple, isolé dans des ghettos, qui porte des brassards comme signes distinctifs et considéré comme des sous-hommes du fait de leurs origines. L’attaque des titans tente d’expliquer les origines de ces sentiments, la haine, la vengeance, la folie qui conduit à la guerre. Elle prouve que l’humanité répète sans cesse les mêmes erreurs.
LA PHILOSOPHIE
Je trouve que cet animé possède aussi une incroyable dimension philosophique sur non seulement dans les relations entres les personnages mais surtout dans les choix qui s’offrent ou s’imposent à eux pour satisfaire leurs idéaux et accomplir leur destin.
Un des thèmes de l’attaque des titans est la recherche de liberté, l’exploration du monde extérieur, derrière les murs. On peut rapprocher cette quête du poème le paradis perdu (Paradise Lost) de John Milton (1667).
Dans le manga (et l’anime), L’île de Paradis est située au large du continent de Mahr. Cette île abrite la Nation de Paradis et sa société des Murs.
L’abandon de ce sanctuaire, de la sécurité vers la recherche de l’inconnu, de la liberté imaginée est d’abord la volonté d’Eren.
L’unité du poème réside dans la réflexion sur le libre arbitre et l’obéissance. La désobéissance d’Ève, qui cause celle d’Adam, peut s’interpréter comme la revendication d’un espace d’autonomie par un être doublement tenu en sujétion. L’entrée dans un monde déchu est vécue positivement comme la possibilité de l’apprentissage d’une vertu à conquérir sur soi-même : « Tu ne seras point fâché de quitter ce séjour, tu posséderas en toi un Paradis bien plus heureux » (XII, 585-587). Les toutes dernières lignes du texte montrent Adam et Ève prêts à entrer dans le monde infini qui s’ouvre devant eux : « Le monde entier était devant eux, pour y choisir/ Le lieu de leur repos, et la Providence était leur guide./ Main en main, à pas incertains et lents,/ Ils prirent à travers l’Éden leur chemin solitaire » (XII, 645-649).
LA SCULPTURE : l’Écorché de Jean Antoine Houdon.
Réalisé à partir d’études anatomiques faites lorsqu’il était pensionnaire de l’académie de France à Rome, le sculpteur Houdon réalise en 1767, la sculpture de l’Écorché au bras tendu. Un « chef-d’œuvre en tant que démonstration de virtuosité anatomique» au croisement de l’art et de la science. En 1792, Houdon fit une variante de l’écorché avec le bras levé dont l’école des Beaux-Arts conserve le bronze.
LES SPORTS DE COMBAT
Passionnés d’Art Martiaux, s’est inspiré de catcheurs, de boxeur pour imaginer la morphologie des titans. Voici deux illustrations
-Yushin Okami pour le Titan Assaillant ou encore le pugiliste
-Brock Edward Lesnar pour le Titan Cuirassé.
CONCLUSION : OUI, HAJIME ISAYAMA EST UN IMMENSE ARTISTE !
Tout le monde en est persuadé (à part lui 🙂 Isayama s’interroge encore sur le reflet et la valeur de son oeuvre. Dans cette interview, il nous fait part de ses doutes à se considérer comme un artiste véritable, il juge son trait de dessin pas assez bon.
Je crois surtout qu’il adopté cette posture en réaction à l’avalanche de louanges qu’il a reçu par les journalistes lors de son voyage en France. Comme pour se préserver, une preuve supplémentaire de sa droiture, sa modestie et sa sincérité. Si certains réalisateurs français pouvaient avoir aussi cette vision sans prétention sur leur oeuvre, ce serait une belle leçon pour le cinéma français.
Pour aller plus loin :
Un super article sur sa Masterclass au festival d’Angoulême
« LA PRESSION ME PESAIT »: HAJIME ISAYAMA ÉVOQUE LES DESSOUS DE « L’ATTAQUE DES TITANS »
Crédit photo : Yohan Bonnet – AFP
Crédit article : Jérôme Lachasse
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