Je veux vous parler d’un film inclassable dans l’histoire du cinéma. Un film qui a été intégralement tourné au Japon. C’est LOST IN TRANSLATION, réalisé par Sofia Coppola (la fille de l’immense Francis Ford Coppola), avec au casting Bill Murray et Scarlett Johansson. Il est sorti au cinéma en France le 7 janvier 2004.
Dans ce premier article/vidéo, je me concentre sur l’histoire et certaines scènes clés du film. Dans un second temps, je vous présenterai les coulisses du tournage à Tokyo et la manière dont le Japon est présenté dans ce film.
Regardez ma vidéo :
Avant tout, je voudrais dire que ce film n’a aucune d’autre prétention. L’histoire et simple oui, mais il y a tellement de chose à dire. Surtout je pense que le cinéma n’est jamais aussi beau et sincère que quand il FAIT CORPS avec les personnages.
Un film spécial pour moi car je l’ai vu pour la première fois juste avant mon premier voyage au Japon et qu’il m’a beaucoup influencé dans ma manière de voir les choses à Tokyo. Avec une idée de base, quand dans on arrive dans un pays étranger, que l’on vit dans un hôtel, on se retrouve en décalage avec les autres et avec le temps.
I-Le titre :
Le titre peut avoir deux interprétations :
La première : c’est de se retrouver dans un pays étranger, dont on ne connait ni la langue, ni la culture, avec le sentiment d’être perdu. (Au début du film, c’est le personnage de bill)
La deuxième, n’est pas une question de langage. C’est une difficulté à se connecter (scène charlotte regarde son mari rencontre actrice) à créer un lien avec les autres pour ne plus se sentir à part (au début du film, c’est le personnage de Charlotte).
Mais ce qui est intéressant c’est que ce sont bien les deux personnages qui se balancent entre les deux sentiments, qui s’entremêlent tout au long du film.
Dans la littérature, on trouve plusieurs références à cette phrase qui est devenue aujourd’hui une expression.
Une première fois à la fin des années 50 le poète américain Robert Frost (dans son recueil : issue de Conversations on the Craft of Poetry, 1959). Un passage que l’on pourrait traduire par : « La poésie, c’est ce qui se perd dans une traduction ».
Puis au début des années 80, Lost in translation est le titre d’un poème d’un autre Américain, James Merrill. Voici le lien pour le lire : http://www.blueridgejournal.com/poems/jm3-lost.htm
Mais l’expression est devenue réellement populaire avec le film de S. Coppola. Elle a explosé dans les années 2000 après la sortie du film. Aujourd’hui, il suffit de regarder sur Internet, on retrouve cette expression partout, dans tous les domaines.
II-L’histoire du film :
Elle est relativement simple (il est souvent repproché au film son manque de relief). C’est vrai qu’elle n’est pas du tout construite par une succession d’évènements, d’actions, de retournements de situation. Ici, rien de tout ça. Elle dévoile uniquement des scènes de vie, à partir du point de vue de chacun des deux personnages principaux.
Bob Harris (interprété par Bill Murray) est un acteur américain plutôt en fin de carrière. Il arrive à Tokyo pour promouvoir la marque de whisky japonais (Suntory) dont il est l’ambassadeur. Dès le début du film, il apparait en décalage par rapport à cette culture qu’il ne connait pas.
Charlotte (incarné par Scarlett Johansson) vient d’être diplôme de Yale (incruste la tronche) et de se marier. Elle accompagne son mari John (Giovanni Ribisi), photographe qui doit faire plusieurs shooting au Japon. Elle doute sur son avenir.
Et ces deux personnages qui n’ont a priori rien à faire ensemble vont se retrouvent dans le même hôtel. A un tournant de leur vie. On peut dire que le film est divisé en 2 parties :
La première se focalise sur leur solitude, chacun de leur côté. La deuxième partie s’ouvre avec leur rencontre.
1ère partie : Déconnexion
Dès son arrivée au Park hayatt de Shinjuku, on remarque que Bob est perturbé. Certainement fatigué par le décalage horaire ? Oui mais C’est un acteur donc, il doit avoir l’habitude de voyager.
Lorsqu’on, on lui tend sur un papier un message de sa femme qui lui rappelle qu’il a oublié l’anniversaire de leur fils. On ne sait pas si ça le perturbe vraiment, mais lorsqu’on lui indique gentiment la direction, il part dans le mauvais sens.
La lassitude de Bob, elle on la remarque immédiatement dès la scène suivante : Le plan fixe sur son lit laisse peu de place au doute : PUTAIN MAIS QU ‘EST CE QUE JE FOUS LA. Dans une chambre qui parait immense et désespérément vide.
La solitude de Charlotte, on la remarque aussi dès le début du film. Au contraire de son mari, Elle ne trouve pas le sommeil. Les sons sont utilisés pour souligner la frustration et l’insatisfaction. Des ronflements de John, au réveil de bob, ou du fax au milieu de la nuit, ce sont ces sons qui viennent ponctuer le silence.
On voit aussi Charlotte assise à la fenêtre, comme un oiseau prisonnier qui observe l’immensité de Tokyo, avec une sensation de vertige. A quoi pense t elle ?
Ce manque d’équilibre, on le retrouve dans TOUS les plans du début du film. On voit que Bob comme Charlotte sont, non pas au centre du cadre, mais tout au bord, excentrés. Ces champs qu’ils n’occupent pas, il n’est pas vide (fenêtre charlotte), il est occupé par la ville (le troisième personnage du film, j’y reviendrai dans ma deuxième vidéo). Eux n’ont d’autres horizon que leur chambre d’hôtel et l’immensité de la perspective.
En réalité, Ils ne sont pas prisonniers de l’hôtel (bon c’est quand même un 5 étoiles) mais de leurs émotions. S. Copolla nous montre qu’il leur manque quelque chose.
Lost in Translation dépeint parfaitement ce sentiment de solitude que l’on peut éprouver ne voyage, perdu dans une ville trop grande. Un sentiment qui n’est ni bon ni mauvais mais un état de mélancolie dont il est parfois difficile de sortir. Bob et Charlotte essaient à peu près les mêmes choses pour atténuer leur solitude, que ce soit en regardant la télévision, en allant à la salle ou en allant nager, en vain.
Alors lorsque par un heureux hasard, ils vont se rencontrent, une première fois dans une cage d’ascenseur bondée. Vous aviez oublié (ce n’est pas grave Charlotte aussi). Puis au bar de l’hôtel, un soir d’insomnie, ils ne vont plus se quitter. Débute alors la deuxième partie du film.
2ᵉ partie : Connexion
Le film change dès lors que Charlotte et Bob sont ensemble.
Malgré la différence d’âge, un rapprochement, des points communs, le partage de leurs questions existentielles. Ils coupent le fil de leur ennui.
Bob et Charlotte sont conscient qu’ils ne sont que de passage au Japon, dans cet hôtel et que leur rencontre n’est qu’une petite bulle de temps et d’espace. Un peu comme un mai à usage unique. (Brad Pitt, un peu comme un ami à usage unique).
A l’extérieur de l’hôtel, ils vont retrouver liberté, énergie et s‘amuser à explorer cette ville qui leur paraissait si étrange et lointaine. La spontanéité remplace la lassitude. On voit qu’ils sont entourés de gens (scènes ou ils courent dans Shibuya autour des taxis) et surtout ils vont partager des choses.
Après le karaoké, on voit Charlotte qui pose délicatement sa tête sur l’épaule de Bob. Une scène devenue mythique. Sans doute le plus beau potage de tête de l’histoire du cinéma.
Comme lors de leur première rencontre, un sourire, Bob regarde ailleurs, il n’a plus besoin de la regarder pour qu’ils se comprennent. OUF, Ils profitent enfin de l’instant présent (ils vont même regardent la Dolce Vita de Fellini ensemble).
III- Les scènes clés :
Je vais me focaliser sur certaines scènes clés pour analyser le travail qui donne cette ambiance unique, entre songe et réalité. Une approche minimaliste et naturelle voulu par Sofia Copolla et son directeur de la photographie lance Acord.
1) La scène d’ouverture
C’est la tout première scène du film. L’arrivé de Bob en Taxi à Tokyo. Plusieurs effets sont utilisées pour montrer qu’il ouvre les yeux sur un nouveau monde. Dont il fait déjà partie sans le savoir.
La caméra alterne les plans larges sur la ville et les gros plans BOB. Pour les plans sur la ville c’est toujours son point de vue qui est montré. La caméra se substitue intégralement à son regard. On tourne carrément la tête avec lui.
Tous les gros plan sont utilisées pour montrer ses réactions face aux lumières qui anime la nuit. La plus remarquable est celle ci : Quand il découvre sa portrait en géant sur un immeuble. Il se frotte les yeux pour savoir si c’est bien la réalité. Le flou s’estompe. C’est la réalité. Est le symbole que son image est devenu trop grande, au point de dépasser et de figer qui il est vraiment. Puis la voiture arrive à l’hôtel. La prochaine fois qu’on va voir Bob DEHORS dans les rues de Tokyo, c’est seulement à la 46 ème minute.
2) Lignes de fuites
On assiste à une successions de scènes qui illustrent un sentiment de déconnexion chez Bob comme pour Charlotte : tout semble leur échapper, tout est futile, sans intérêt : bob qui reçoit les messages et les appels de sa femme. Il l’écoute mais cela n’a aucun effet positif sur son moral. On remarque la même chose pour Charlotte qui essaie de se confier à une amie par téléphone. Elle parle du Japon, à quel point c’est un endroit cool, et qu’elle est heureuse, mais le tremblement de sa voix racontent une toute autre histoire.
A la différence de Bob, Charlotte va faire des efforts pour communiquer. Une scène illustre une tentative de connexion lorsque Charlotte se rend à un cour d’Ikebana dans l’hôtel. L’Ikebana est un véritable art au Japon. Il consiste à par l’intermédiaire de composition florales à faire vivre les fleurs. L’esthétique n’est pas le seul but. Il y a une véritable dimension spirituelle. Et dans cette scène, Charlotte est à la recherche de repères. Elle veut se sentir connecté. Copolla voulait montrer cette scène car dans cette classe, on voit que les gens une réelle connexion entre eux et avec les fleurs. Malgré sa présence physique, Charlotte reste à l’écart.
Ce sentiment d’être à l’écart, on le retrouve dans deux scènes ou elle accompagne John : quand il croise l’actrice américaine (qui elle arrive parfaitement à communiquer avec beaucoup d’assurance et de certitude sur des bétises), elle reste silencieuse.
Heureusement la rencontre avec Bob va tout changer.
3) Au 52ème étage de l’hôtel Hyatt Park, le New York Bar
Tout au long du film, on voit que les couleurs reflètent l’état émotionnel des personnages.
Dans les chambres d’ l’hôtel : elles sont sombres sombres. La nuit, la seule source de lumière sont de petites lampes de chevets. Le jour, le gris du ciel. Quand ils se retrouvent au bar, les tons sont légèrement plus chauds. La lumière devient dorée.
Au cinéma, le bar est clairement un endroit à part. Mais rarement pour faire quelque chose de constructif et de raisonné. Dans Lost in translation, il est un lieu d’échange, de réflexion et de confessions.
4) La ligne invisible :
C’est surement l’effet les plus réussi du film et le plus bluffant. Cette ligne invisible qui se dessine entre les deux personnages. Une symétrie quasi parfaite que l’on peut tracer tout au long du film. Elle est le symbole de l’évolution de leur relation, de l’intimité qu’il partagent progressivement mais aussi du contrôle qu’ils conservent.
Le génie s’exprime lorsque cette ligne s’estompe le temps d’un instant, avant pour s’effacer définitivement à la fin du film.
5) La scène du Karaoké
C’est la scène qui marque un véritable basculement de leur relation.
D’abord car Bob et charlotte s’amusent enfin. C’est la magie du karaoké. Si vous allez au Japon, allez y !
Ensuite car leurs sentiments évlouent. Les chansons ne sont pas choisies par hard. Chacune permet pour communiquer les pensées et des sentiments auxquels enfin ils se sentent connecté :
Charlotte choisit «Brass in Pocket» de The Pretenders, dans lequel elle s’exclame avec confiance qu’elle «est spéciale». Bien que la chanson marque une forme d’insouciance de la part de Charlotte, elle révèle également un aspect de sa personnalité. Son besoin d’attention et de reconnaissance.
Bob se retourne face à un choix. Il hésite entre les morceau «(What’s So Funny‘ Bout) Peace, Love and Understanding » de Nick Lowe et« More Than This » de Roxy Music. Le premier MONTRE son côté comique. Il surjoue avec beaucoup d’autodérision. Et pourtant, les paroles révèlent un sens caché, tout comme la chanson de Charlotte. C’est un morceau sur le thème de l’insatisfaction et la misère existentielle.
Sa dernière chanson, «More Than This», semble être adressé Charlotte. Avec un rythme plus lent, Bob change de ton et devient plus sérieux et sincère et sérieux. Lui et Charlotte semblent désormais seules deux personnes dans la salle de karaoké, plein d’espoir. Pourtant, comme la chanson y fait allusion, il y a quelque chose de triste dans leur rencontre. . . car leur voyage va bientôt prendre fin.
Puis on assiste à cette bascule de point qui en dit beaucoup sur l’évolution de ses sentiments. On voit Bill net et charlotte floue, puis inverse.
6) La scène de fin :
Cette scène a fait beaucoup parlé. Un comble pour une scène qui est silencieuse. Sur internet, on trouve de nombreux articles et vidéos qui tentent de décrypter, d’imaginer ce que Bob chuchote à Charlotte. Officiellement Ni Sofia Copolla, ni les acteurs n’ont confirmé aucune version.
On trouve quelques indices sur le script. Je vous en parlerai dans ma deuxième vidéo
Mon avis est que c’est aussi bien de ne pas savoir. Car ce qui est le plus beau dans ce film, c’est ce que n’est pas dit…Et dans cette scène, que l’on aime ou pas ce film, on est obligé de reconnaitre que le silence suffit à traduire l’évidence. Tout parole serait vaine pour traduire l’intensité des sentiments.
Et alors que la majeure partie du film était centré sur les deux personnages, ici ils disparaissent totalement. Chacun s’efface dans la foule. En résonance avec la première scène du film, Le tout dernier plan est celui de la route, la camera, fixe droit devant la mise au point de fait…Tout est clair. La ligne n’est plus séparation mais horizon ouvert
«Just Like Honey» de The Jesus and Mary Chain en arrière-plan est la chanson parfaite pour conclure ce voyage au Japon, avec ses paroles qui évoquent l’impossible séparation.
Tout ça en mieux en vidéo :
https://www.youtube.com/channel/UCeLmCGO5ksnjMM5MLrhCEDw
https://japoncinema.com/les-films-japonais-a-voir-au-cinema-en-2021