Depuis le 10 avril (et jusqu’au 15 juillet 2018), le musée du Quai Branly organise une exposition intitulé « Enfers et fantômes d’Asie ».
Un titre évocateur sur un thème de la culture asiatique assez méconnu en France.
En Asie, la perception du fantôme n’est pas exactement la même qu’en Occident. La disparition d’un être signifie un renouveau pour son âme. Au Japon par exemple, pendant l’été, la fête des âmes « Obon » honore les ancêtres. Les fantômes occupent une place importante dans de nombreux domaines. Les références sont présentes dans la religion, la littérature mais aussi dans la peinture, le cinéma, les jeux vidéos (vous vous souvenez des fantômes dans pac man ?).
J’ai trouvé cette exposition passionnante. Je voulais donc vous livrer mes impressions. A noter que j’ai décidé de me focaliser sur le Japon et le cinéma. Mais l’exposition va bien au delà. Elle est aussi très enrichissante et passionnante sur les cultures thaïlandaise et chinoise notamment sur les enfers dans la religion.
1) Une exposition riche, instructive et spectaculaire
La grosse surprise quand on rentre dans l’exposition, c’est que l’immersion est immédiate. On est plongé dans un univers sombre et intriguant.
Elle débute par une courte séquence cinématographique japonaise représentant l’entrée des enfers, le purgatoire où les défunts expient leurs fautes. Le décor est posé ! Et l’exposition ne va cesser de me surprendre.
Les œuvres exposées sont d’une grande diversité. A titre d’exemple, vous pourrez découvrir des estampes de fantômes réalisées par Hokusai, des costumes de théâtre nô, des statues, des décors de théâtre, des figurines, des affiches et extraits de films, des hologrammes…C’est rare dans une exposition éphémère. Surtout, toutes les œuvres présentent un intérêt. Bien que l’exposition ne soit pas immense, elle est d’une telle richesse que l’on a l’impression de visiter un musée à part entière. Pour résumer, vous en aurez pour votre argent.
Pour moi, la principale qualité de cette exposition, c’est sa « scénographie », son visuel. Elle n’est pas construite comme un chemin linéaire mais comme un parcours tortueux, un peu comme si on s’aventurait dans un labyrinthe des enfers. Bravo aussi pour la créativité dans l’aménagement des éléments de décors. Majestueux et impressionnants, le sentiment de fascination est réel. Une véritable démonstration visuelle.
Le côté pédagogique n’est pas en reste. On comprends mieux comment les fantômes ont investis tous les domaines de la culture asiatique : l’art religieux, le théâtre, le cinéma, la création contemporaine ou le manga. Je n’avais pas récupéré de guide audio et je ne pense pas qu’il soit indispensable. En fait, je vous invite plutôt à vous imprégner de l’ambiance visuelle et de lire les explications viennent étayer les illustrations.
L’exposition rend aussi hommage au J-Horror (catégorie de films ultra populaire au Japon et dans le monde entier principalement à travers du film the ring). Vous aurez même l’occasion de pénétrer dans une mystérieuse salle, à la rencontre de Kayako, le fantôme dans la série des Ju-on de Takashi Shimisu. Bien sur, j’aurai aimé que le sujet soit plus développé…
Enfin, à la question, est-ce que le musée du quai Branly s’est transformé en maison hantée ? la réponse est non. L’exposition n’est pas vraiment effrayante. Certaines illustrations soient impressionnantes mais aucune œuvre ne fait réellement peur. On comprend vite que l’exposition est avant tout construite pour instruire le visiteur et pas pour le dégoûter. Vous pourrez donc visiter exposition en famille (pas trop jeune quand même), à condition que vos enfants manifeste l’envie de la découvrir.
2) Un témoignage fidèle à la culture japonaise
Plusieurs représentations emblématiques du fantôme dans la culture japonais sont présentées dans cette exposition. Voici une présentation des différents type de fantômes que l’on retrouve dans le cinéma japonais.
- le yûrei
Il faut d’abord savoir que la représentation du fantôme en Japon est particulière. Ce n’est pas une créature démoniaque. C’est un être à part entière qui cherche avant tout à faire passer un message aux vivants.
Dans la croyance populaire japonaise, ceux qui ont laissé sur terre des chagrins, des colères, ou une envie de vengeance ne peuvent pas quitter ce monde définitivement. Leur âme se manifeste en apparaissant à certaines personnes.
Oiwa, est « la figure » la plus connue du fantôme au Japon. La plus terrifiante aussi.
Dans la légende, Lemon, un samouraï déclassé devenu fabricant d’ombrelles, est fasciné par cette musicienne joueuse de biwa, le luth japonais, d’une grande beauté, et l’épouse. Puis le seigneur local décide de redorer le blason de sa famille en mariant sa fille à un samouraï. Lemon, qui est un arriviste, se dit qu’il est plus avantageux d’accéder à une famille riche et aristocratique, mais pour cela, il doit se débarrasser de son épouse. Il va la défigurer et la pousser au suicide. Mais elle va revenir d’entre les morts pour réclamer justice.
A l’origine, c’est une pièce du théâtre kabuki. Elle fera l’objet de plus de 30 adaptations au cinéma (dont les films the ring, dark water ou Ju-on). En fait, une grande partie de la J-horror s’inspire de cette histoire.
- La Kaibyô
On peut traduire ce terme par femme-chat. Mi humaine, mi animale, c’est avant tout un esprit assoiffé de vengeance. Très représenté dans la culture japonaise, elle est issue du théâtre Kabuki, dont elle conserve la gestuelle. Elles est ensuite très présente dans le cinéma japonais, notamment les films de Nabuo Nakagawa, dans les années 1950. Il montre que le petit chat qui va laper le sang de sa maîtresse assassinée, et ainsi convoquer la Kaibyô. L’esprit prend l’apparence d’une femme, qui vient accomplir sa vengeance en s’introduisant chez le seigneur.
Au cinéma, la plus célèbre Kaibyo n’est pas japonaise, c’est Cat women. Secrétaire tuée par son patron, puis ramenée à la vie par des chats sauvages (Batman Returns de Tim Burton en 1992), prostituée assassinée par son proxénète, elle est l’incarnation d’une femme violentée qui va se faire justice.
- Les yokaï
Elles sont très différentes des yurei. A la différence de l’apparence effrayante des fantômes, les yokais ont des formes mignonnes et des comportements espiègles et attachants.
Dans la tradition japonaise, ce sont de petites créatures qui incarnent nos peurs. Elles se cachent dans tous les lieux de notre quotidien. Elles sont présentes dans le folklore japonais et ont traversées l’histoire depuis la période Edo. À la fête des morts, au mois d’août, les gens portent des masques inspirés de ces personnages.
En Europe, elles sont surtout connues depuis les années 90 grâce au cinéma d’animation (notamment les films du studo Ghibli) et les jeux vidéo (Yo-kai Watch, ou le magnifique Okami). Parmi les plus connus, il y a Kitsune le renard roux ou Tanuki un chien maître de l’illusion (que l’on ne présente plus dans le film Pompoko de I. Takahata).
Conclusion : « Enfers et fantômes d’Asie » est une exposition surprenante, que je vous conseille vivement. Très instructive, la visite est passionnante en raison notamment de la diversité des œuvres présentées. Elle devient fascinante grâce à une mise en scène innovante et spectaculaire. Une occasion unique d’explorer ce thème et de connaître ses codes dans la culture asiatique !
Mon avis sur l’exposition « Enfers et fantômes d’Asie » au musée du Quai Branly