Critique du film SUZUME - Makoto Shinkai (2023)

Critique du film SUZUME – Makoto Shinkai (2023)

Suzume (すずめの戸締まり, Suzume no tojimari est le titre d’origine) est un film d’animation japonais réalisé par Makoto Shinkai et produit par le studio CoMix Wave Films. Il est sorti au Japon le 11 novembre 2022. Il sort en France  au  cinéma le 12 avril 2023. Voici ma critique du film SUZUME.

L’histoire : Dans une petite ville sur l’île de Kyushu, Suzume, 17 ans, vit avec sa tante. Un jour, elle rencontre un jeune homme qui dit voyager afin de chercher une porte. Décidant de le suivre dans les montagnes et un lieu abandonné, elle découvre cette porte mystérieuse au milieu de ruines. Comme elle veut retrouver le garçon, Suzume tourne la poignée et la porte s’ouvre. Est-elle porteuse d’espoir ou d’une catastrophe ? 

D’autres portes s’ouvrent aux quatre coins du Japon. Suzume entame une grande aventure en forme de quête initiatique.

 

LA BANDE ANNONCE

Le film est écrit et réalisé par Makoto Shinkai. C’est son septième long métrage d’animation. La conception des personnages est l’œuvre de Masayoshi Tanaka, l’animation est dirigée par Kenichi Tsuchiya.

Makoto Shinkai cite la nouvelle « Super-Frog Saves Tokyo » et le roman « Kafka sur le rivage » (Umibe no Kafuka), deux de Haruki Murakami, et le film d’animation « Kiki la petite sorcière » (1989) d’Hayao Miyazaki comme une sources d’inspiration pour son film d’animation.

Suzume est doublée par l’actrice Nanoka Hara et Sōta est doublé par Hokuto Matsumura, réalisant leurs débuts en tant que Seiyū. Nanoka Hara a été sélectionnée parmi 1 700 candidates.

Makoto Shinkai a déclaré qu’il souhaitait que le personnage de Sōta soit une femme. Mais les producteurs ont refusé. 

L’OST est magnifique. Comme pour Your Name et les enfants du temps, la composition est l’oeuvre du groupe RADWIMPS, en collaboration avec le compositeur Kazuma Jinnouchi. Le thème principal est interprété par Toaka.

Le film contient pleins de références dont deux au studio Ghibli : « Kiki la petite sorcière » et « Si tu tends l’oreille ».

Suzume est un véritable road trip dans plusieurs lieux au Japon, qui existent réellement. Je prépare un article le plus complet possible. Voici une première partie à partir des bandes annonces : https://japoncinema.com/suzume-les-lieux-du-film-au-japon

CRITIQUE ET ANALYSE

1) Une AVENTURE, visuellement MAGNIFIQUE

Sans détour, j’ai beaucoup aimé ce film. Je pense que c’est un excellent film d’animation et l’un des meilleurs Makoto Shinkai. 

Un des qualités principales de ce film, je m’en doutais mais je l’attendais beaucoup, c’est la beauté de l’animation. Visuellement, Suzume est éblouissant du premier au dernier plan. Je n’ai pas été déçu. Il faut le dire et le répéter, c’est une chance de voir une telle qualité de l’animation sur grand écran au cinéma. Suzume fait partie de cette catégorie de films dont l’intensité et l’impression d’immersion vous font oublier de ce que vous avez vu et vécu avant dans la journée. Cette dimension « extra ordinaire », on s’en rend compte dès les premières minutes. Lorsque Suzume plonge son pied dans l’eau limpide et qu’elle se retrouve face à cette porte qui soulève tant de mystères. A la manière du début du film le « voyage de Chihiro », je trouve que cette scène révèle une forme de magie pas encore visible mais déjà présente, et je trouve ça très beau. Un côté onirique que je n’attendais pas à ce niveau chez Makoto Shinkai. Donc j’ai adoré, j’y reviendrai.

On retrouve dans Suzume deux signatures des films précédent de M. Shinkai, en particulier « Your Name » et « les enfants du temps ». Une spectacle incroyable et un voyage envoutant au Japon. Dans Suzume, je trouve qu’il va encore plus loin.

Sur la dimension spectaculaire, les effets de mouvement, les couleurs et la lumière dévoilent des trésors de réalisation et de mise en scène. Que ce soit dans les cadres, les plans larges, en contre plongée, c’est digne des plus grand film de cinéma. Le film déploie tous les effets possibles pour nous émerveiller. J’ai adoré cette impression d’immersion qui est totale en particulier à Tokyo et à la fin du film. La 3D est présente mais ne nuit pas du tout à l’ambiance. J’ai été ébloui par tellement des scènes que je pourrai toutes les énumérer.

j’ai trouvé les scènes d’action plus réussies que celles dans les enfant du temps que j’avais trouvé un peu inutiles. Ici, elle nous plonge dans un tourbillon visuel époustouflant, une expérience folle qui rajoute un plus à ce film. Une illustration lorsque Suzume est amenée à survoler Tokyo puis qu’elle chute dans la rivière. On a vraiment l’impression de voler avec elle au dessus de la mégapole puis en dessous. C’est une impression indescriptible. 

Certains passages, plus rares, sont contemplatifs. J’ai beaucoup aimé les plans sur le ciel et la nature qui sont tous magnifiques. Comme dans « 5cm par seconde » et « the garden of words »,  les éléments naturels, la pluie, la lune, la nuit, dans toutes leurs nuances d’intensité, symboles du temps qui passe, magnifient l’animation.

Suzume dévoile un road trip authentique à travers le Japon. Cela, on le comprend rapidement mais on ne sait pas jusqu’ou il va aller. 

A travers ce voyage, on constate (c’est devenu sa marque de fabrique) une fidélité aux lieux et ce sens du détail qui nous fait découvrir le Japon de la plus belle des manières. Ce Japon rêvé pourrait se révéler de la pure fiction. Comme dans Your Name et les enfants du temps, il s’avère que les lieux du film existent en réalité. 

La différence avec ses deux derniers films est que Suzume explore beaucoup plus d’endroit et par conséquent plus de diversité. On part du sud du Japon sur l’île de Kyushu vers le nord de Honshu, en passant pas Kobe (dommage que l’on ne voit pas plus cette ville) et bien sur Tokyo. L’impression de réalisme est bluffante. Je vous ai préparé un article pour parcourir la liste des lieux du film.  Retrouvez le lien en fin de cette page.

Pour toutes ces raisons, Suzume est un réussite sur le plan visuel. On peut dire que M. Shinkai exploite un nouvelle fois ses thèmes de prédilection et son schéma de réalisation. C’est vrai, mais il trouve cette fois un bon équilibre entre les tranches de vie des personnages les moments plus contemplatifs et les scènes d’action spectaculaires. 

2) Des personnages à l'évolution bien réelle

Critique du film Suzume

Un mot sur le character design qui se rapproche beaucoup de ses films précédents. Pas de surprise de ce coté là. Juste peut être, sur un personnage. C’est une interprétation personnelle, sur certains plans, l’apparence du personnage de Souta Munakata m’a fait pensé au père de famille dans les enfants loup Ame et Yuki. En pensant à ça, au début du film, j’étais persuadé que c’était lui qui avait perdu sa famille suite au Tsunami. Mais l’histoire révèle tellement de surprises.

Le personnage que j’ai préféré, c’est celui de la chaise. Je ne vous dévoile son rôle que dans la partie spoiler. Jamais un objet ne m’était apparu aussi humain dans une film d’animation japonais (depuis alphonse elric dans l’anime Full metal Alchimist qui est inégalable). Puisqu’elle ne marque pas d’expression, le spectateur est libre de faire jouer son interprétation et ça fonctionne, je trouve qu’elle exprime beaucoup d’émotions. Comme dans Full Metal Alchimist, j’ai trouvé cette idée très intéressante. J’ai aimé le fait qu’il joue sur le chaud et le froid, l’éveil et le sommeil pour marquer son humanité.

Quand on la découvre au début du film, on est surpris, intrigué; Puis on accepte avec plaisir de suivre une petite chaise sur trois pieds qui court saute, parle et occupe une place centrale dans l’histoire.

Dans une interview, Makoto Shinkai a révélé son inspiration pour ce personnage. « C’est venu de deux choses. Ma propre enfance, d’abord, quand mon père m’a fabriqué une chaise de ses mains, me donnant l’impression que je possédais ma propre chambre. Mais aussi Luxo, la lampe animée qui sert de logo à Pixar et qui a influencé les animateurs du monde entier. 

La chaise n’a que trois pieds parce que cela permet de la rendre plus attendrissante quand elle se déplace, précise Makoto Shinkai. Cela lui apporte un mouvement déséquilibré très intéressant à animer. Cela montre aussi qu’on peut survivre même quand il nous manque quelque chose, ce qui est aussi le cas de Suzume qui a perdu sa mère ».

Vous découvrirez aussi que Suzume fait beaucoup de rencontres mais la majorité de ces personnages secondaires ne restent pas (assez) longtemps pour s’y attacher. C’est l’inconvénient d’un long métrage au cinéma, il faut avancer rapidement. C’est un point commun avec les enfants du temps. 

3) Des MUSIQUES et un clin d'œil RETRO au TOP !

Si le film est une merveille pour yeux, c’est un beau cadeau pour les oreilles. Les OST sont magnifiques. Comme pour Your Name et les enfants du temps, le groupe Radwimps assure les musiques et c’est excellent. Mention spéciale pour le thème principal signé Radwimps et interprété par Toaka. Une mélodie qui m’a mis la larme à l’oeil et un vinyle me fait déjà de l’oeil.
Je trouve intéressant et intelligent que M. Shinkai utilise les sons pour servir son propos. J’avais adoré cet aspect dans Liz et l’oiseau bleu de Naoko Yamada. Dans Suzume ces sont des musiques retro qui marquent un voyage initiatique pour se réconcilier avec le passé. Cette scène en voiture a fait battre mon coeur de passionné et de nostalgique des années 80 et 90. Tomoya le conducteur (et ami de Souta) met plusieurs musiques sur son téléphone. Ce sont toutes des musiques rétro des années 90. La première est la chanson de Kiki la petite sorcière d’Hayao Miyazaki interprété par Yumi Matsutoya – Rouge no Dengon.

J’ai aimé ce moment fort sympathique, empreint d’un soupçon de nostalgie (quand on a les références) qui m’a donné envie de fredonné avec les personnages ces paroles écrites il y longtemps (qui peuvent paraitre « second degré ») aujourd’hui mais qui restent pleines de sens et de vérités. 

J’ai tenté de retrouver toutes les musiques de cette séquence dans un article spécial. Retrouvez le lien en fin de cette page.

Critique du film Suzume

4) Une QUETE INITIATIVE qui passe par la MEMOIRE COLLECTIVE

Maintenant, je veux vous parler du gros morceau, l’histoire, son déroulement et les messages qu’elle dévoile. C’est pour moi ce qui est le plus intéressant car c’est ce dont je me souviens sur le long terme, qui prouve qu’un film compte pour moi. Et l’histoire de Suzume est belle, elle a du sens et délivre des émotions. Bref, elle fait carton plein.

D’abord, elle dévoile un sens personnel, une quête initiatique intime à travers l’exploration des sentiments de Suzume. Dès le début du film, c’est son point de vue qui est présenté. 

Ensuite, ce film livre un message qui a un sens collectif. Celui du devoir de mémoire en forme universel. Je développe ces deux points dans la partie « Spoilers » juste ci dessous.

Pour vous présenter mes impressions (sans spoiler), je vais simplement « découper » le film en 3 chapitres ou partie, qui correspondent a peu près à chaque tiers en durée. Mon ressenti est différent pour chaque partie. Chaque segment est marqué par un tempo et une identité incroyable qui prouve que le cinéma d’animation n’a rien à envier au films live.

La première partie (ou chapitre) est la plus mystérieuse. La première scène apparait comme un flashback qui intrigue. Les scènes suivantes posent une ambiance dans cette petite ville côtière, elle présente les personnages, avec une rencontre inattendue en forme d’introduction, de promesse pour l’avenir. 

On est invité à poser un regard d’observateur entre la découverte du quotidien de Suzume et une relation avec Sota qui se dessine et qui va prendre un tournant inattendu. Puis un évènement a priori incontrôlable se produit. A ce moment, je me suis posé un tas de questions sur les sens caché de chaque personnage. Qui est ce chat qui parle ? Quel est son but ? 

Le seconde partie commence et l’histoire se transforme alors en véritable aventure à travers le Japon, du Sud vers le Nord. Suzume va devoir fermer les portes qui apparaissent dans des lieux particuliers pour éviter les catastrophes. Cette visite du pays oscille entre la campagne et la ville, l’abandon d’un village, d’une école et d’un parc d’attraction à Kobe qui ont été rendus à la nature. En parallèle Suzume va faire la rencontre de plusieurs personnages qui vont l’aider et la guider.

Puis elle arrive à Tokyo. C’est la partie la plus impressionnante. J’ai trouvé que le film gagne en intensité. A partie de ce moment, je me suis retrouvé scotché à mon siège par l’immensité de l’action et la beauté de Tokyo magnifié comme M. Shinkai sait si bien le faire.

La troisième partie est pour moi la plus émouvante. Elle marque le départ de Tokyo vers son lieu d’enfance, sa maison où elle vivait avec sa mère. On va plus loin dans le passé et l’exploration des sentiments (et des ressentiments des personnages).  J’ai été particulièrement surpris par un coté plus sombre que je n’attendais pas du tout de la part de M. Shinkai, Vous allez voir une scène en particulier de Tamaki qui est la tante de Suzume. A ce moment, on mesure toute la profondeur et la gravité des propos de l’histoire. Là aussi au sens individuel et au sens collectif. Tout au long du film, il est souvent question de souvenirs.

Il ne faut pas se tromper. Suzume n’est pas une simple romance. C’est un film sur les conséquences du Tsunami qui a frappé de plein fouet les 3 préfectures de Fukushima, Miyagi et Iwate le 11 mars 2011.

Sur le fait que dix années se sont écoulés depuis mais qu’il reste des enfants qui sont devenus orphelins ce jour-là. Et qui comme Suzume, il ne sont pas encore adultes aujourd’hui. Il s’agit du traumatisme à dépasser, de souvenirs à recomposer, de la présence d’une mère qui semble proche et lointaine à la fois. Il s’agit de la menace d’un séisme pèse tous les jours sur les Japonais. C’est aussi un message fort sur le dépeuplement de la campagne japonaise à travers ces lieux abandonnés. A travers ces images, Makoto Shinkai construit un pont mémoriel entre les générations. Comme celui que traverse Daijin lors de sa fuite. Comme la rencontre entre Suzume et le grand père de Sota.

Mais Suzume n’est pas un film triste. Il envoi un message d’espoir pour les japonais, une ode à la vie au service du devoir de mémoire en lien direct avec le tsunami.

Derrière son esthétisme, ce film m’a fait ressentir quelque chose d’assez unique que j’ai pour l’instant du mal à expliquer car je ne m’y n’attendais pas du tout. D’une part, il révèle en partie une dimension magique (que l’on retrouve dans les films de Miyazaki) qui nous transporte dans le monde éternel, celui des kamis qui nous donne envie de croire tout ce qu’on nous raconte. D’autre part, il recèle une dimension humaine plus inquiétante qui nous ramène vers la réalité. qui nous fait constater que l’égoïsme, la jalousie, tout ce qui fait les injonctions contradictoires de nos émotions ne sont peut être qu’illusion. Un peu à la manière de Satoshi Kon (même si aucune comparaison n’est possible), on perçoit par instant un mélange assez complexe que je n’attendais pas du tout.

Cette ambivalence des sentiments balance avec des scènes empreintes d’une grande délicatesse. Une légèreté en forme d’humour assez réussi, surtout j’ai aimé les réactions du personnage de Tomoya. Pour moi, c’est le personnage secondaire le plus plus drôle du film.

Autre qualité du film,  Suzume est un trésor de surprises, de références (plus ou moins cachées).

Suzume Iwato est une jeune fille sur le long chemin pour devenir adulte. Sans se poser de questions, elle va partir à l’aventure. Sans se douter du chemin qu’elle va parcourir, vers la maturité et l’émancipation de son passé.

Sota Munakata, comme son grand père avant lui, est le symbole de la dévotion. Etudiant , il veut devenir professeur. En tant que verrouilleur, il est prêt à se sacrifier pour accomplir sa mission. Lui et Suzume vont se séparer, se retrouver, et surtout se réparer mutuellement. 

A la fin du film, on assiste à un déluge d’émotions, difficile de contenir mes larmes. Le seul reproche que je peut faire à l’histoire, c’est qu’elle reste inachevée. Cela ne m’a pas dérangé mais je peux comprendre les critiques sur ce point. 

Partie ANALYSE avec SPOILERS

5)Un parcours initiatique en forme de porte ouverte vers les souvenirs

Ce qui fait aussi l’intérêt de ce film, c’est qu’à travers le prisme du souvenir, du passé, se dévoile (au moins) une double lecture. Elle est représentée par un mouvement simple que l’on fait tous, tous les jours : ouvrir une porte et les refermer. Sauf qu’ici c’est un peu plus complexe que cela.

Sur un plan individuel à travers le personnage de Suzume. Alors qu’elle se rend à son école le matin, elle croise un jeune homme qui lui indique être à la recherche d’une porte. Intriguée, elle décide de le chercher dans un village en ruine. Elle voit une porte qu’elle ouvre et libère une force tellurique gigantesque.  Sōta, lui vient en aide pour réussir à fermer cette porte à l’aide d’une clé et lui révéler son mystère. Il est un verrouilleur, sa tâche est de protéger le monde de ce qui est enfermé de l’autre côté. Commence alors leur aventure car des portes commencent à s’ouvrir dans tout le Japon, leur laissant peu de temps pour agir.

On découvre au fur à mesure de l’histoire que la porte (l’autre monde) est le symbole de la séparation avec sa mère, l’invocation de son passé. Suzume parcoure le Japon pour empêcher les tsunamis, mais aussi vers l’acceptation du deuil et de soi-même.

Toutes les personnes qu’elle va rencontrer, je les vois comme des messagers, qui vont lui ouvrir des portes, pour lui faire comprendre des choses pour surmonter cette plaie encore ouverte. Pendant son voyage, une jeune livreuse, une mère avec ses deux enfants, le meilleur ami de Sōta, et sa propre tante qui l’a éllevé qui va se lancer à sa recherche. Et le personnage le plus marquant, cette chaise de son enfance faisant office de filigrame. 

Au coeur de ce labyrinthe intérieur, le point de départ, c’est aussi le point d’arrivée. Celui qui va l’amener vers là ou tout a commencé. Sa maison, la porte de son foyer. Ce lieu ou elle a quitté sa mère, sans comprendre. Cette chaise qui a l’origine est le cadeau que sa mère lui a offert, construite de ses mains, c’est à son tour de le donner, de s’en séparer. C’est le symbole de ses souvenirs qu’elle laisse pour construire son futur. D’ailleurs je pense que lorsque Daijin transforme Sota, ce n’est pas forcement un acte gratuit et méchant comme il nous le laisse penser. Plus tard dans le film on apprend que les deux gardiens connaissent le passé. La scène dans la chambre l’hôpital à Tokyo nous éclaire sur ce point, lorsque le grand père de Sota s’adresse au deuxième gardien devenu un gros chat noir. 

C’est à la fois la Suzume du passé et les souvenirs de Suzume du présent qu’elle doit décrypter. Une relation en forme de correspondance épistolaire qui se dessine, à l’image de son cahier qu’elle retrouve à la fin du film, et qu’elle ne pourra pas effacer. C’est aussi le fil de sa quête initiatique qui se tisse (vous verrez la référence à Your Name et le fil noué symbole du lien entre les individus musubi). Non pas celle d’une héroine mais celle d’une jeune fille réconciliée avec soi-même (libérée du passé) pour mieux construire son avenir, meilleur !

Une quête qui relie les individus, à travers toutes les rencontres qu’elle va faire tout au long de son périple à travers le Japon.  

Mais aussi à l’image (que j’ai trouvé très belle) de ces mèches de cheveux qui brillent au début du film entre Suzume et sa mère puis entre Suzume enfant et Suzume du présent à la fin du film. 

6)Une mémoire collective qui forme un lien entre les générations

Suzume est aussi une fresque collective car un message s’adresse à la société. Dans le déroulement de l’histoire, il faut fermer des portes pour éviter les séismes. En réalité, à travers les « verrouilleurs« , c’est vers une mémoire collective que le réalisateur veut nous mener. 

Le concept des Portes fait toujours écho à des lieux abandonnés par l’homme à cause de catastrophes. Une parole du film est malheureusement « l’histoire de répète », elles sont toujours des endroits remplis de souvenirs des personnages. 

Les portes sont situés à des endroits qui ne sont pas du hasard. Elle représentent le quotidien une école, un parc d’attraction, une station de métro, tout ce qui constitue nos sociétés modernes.

Le fait de devoir tourner les serrures en invocation les souvenirs des gens disparus pour arrêter les séismes et le fait que que ces portes sont situées à ces endroits bien précis sert  à nous montrer quelque chose. Qu’il faut aller de l’avant, et savoir laisser ces choses qui constituaient nos quotidiens comme le symbole du monde qui change et du caractère éphémères des lieux, que rien n’est perpétuel. Vous avez peut être fait l’expérience de revenir sur un de vos lieux d’enfance en constatant qu’il avait tellement changé.

C’est un message central de ce film. Les choses matérielles sont sans importances, comme la voiture de Tamiki qui tombe en panne, sa glace qui tombe par terre.

Ceux qui restent sont les souvenirs, les rencontres et les émotions, comme l’OST des films du studio Ghibli. Spotify, les malboro, le macdo, les smartphones peuvent bien disparaitre. Je trouve que ce message est beaucoup plus clair dans ce film de la part de M. Shinkai. 

Au final, sur  ces question posées (la brutalité des catastrophes naturelle, sur la caractère éphémère des choses matérielles…) quelle peut être notre réponse, à notre échelle de simple humain, mortel ? 

La réponse des personnages est pleine d’espoir. Il faut vivre. « Je veux vivre », ce sont les mots que prononce Suzume pour libérer Sota. 

Je ne peut l’empêcher de voir cette réponse comme un écho au dernier film de Miyazaki qui s’appelle « comment vivez vous ? ».

La dernière scène dans l’Autre-Monde est éblouissante. Le dialogue entre les deux personnages entre le présent et le passé, l’autre monde et le monde réel est un message d’espoir. La fin du film, je la vois comme une invitation à vivre malgré les peurs, ses souffrances. Finalement, un message constant de la part de M. Shinkai et qui fait du bien car il nous pousse à réfléchir sur la manière de devenir meilleur, moins exigeant envers nous même.

Un message pour nous accompagner et nous faire grandir. Il rejoint et complète ceux de ces films précédents (même si certains traits se confondent, je vous conseille de prendre le temps de voir ces 4 films) :

La distance et la beauté de la contemplation dans « 5cm par seconde » en 2007.

L’age et la fragilité des émotions dans « garden of words » en 2013.

Le thème du temps et la puissance des sentiments dans « Your Name » en 20216.

La nature et l’exaltation de la jeunesse dans « les enfants du temps » en 2019.

La symbolique et la mythologie japonaise sont aussi présentes dans Suzume. Il mêle  le fantastique aux contes japonais.

On découvre ce ver géant qui a le pouvoir de créer les séismes en retombant. Cet antagoniste n’est lui non plus pas anodin. La légende de Namazu remonte seulement au XVIIème siècle. Namazu est un poisson chat géant, qui vit enterré dans la boue, dans les profondeurs de la Terre. Les îles du Japon se trouvent sur son dos. Lorsque Namazu se réveille, il se secoue et se tortille dans tous les sens, provoquant des tremblements de terre. Selon la légende, un dieu, Takemikazuchi, ou Kashima, est le seul capable d’arrêter le poisson, grâce à son épée : il l’immobilise en lui bloquant la tête sous une grosse pierre. Mais, parfois, le dieu s’endort, et relâche sa vigilance : Namazu se réveille alors, et se remet à s’agiter, ce qui provoque de nouveaux séismes.

Makoto Shinkai livre un message toujours d’actualité.
En choisissant un ver dénué d’objectifs, sortant en force d’une porte pour s’entendre et détruire, il montre que les catastrophes naturelles peuvent tout nous prendre sans la moindre raison. Plusieurs fois, le Japon  été frappé par des séismes dévastateurs, celui d’Edo en 1855, de Kobe en 1995, de Fukushima en 2011. J’aimerai savoir ce que les japonais pensent de ce film. Comment ils le voient par rapport à un film en prise de vue réelles comme la famille Asada. 

Toute l’histoire du cinéma japonais est marqué par l’histoire du Japon, comme Godzilla marque le traumatisme de la destruction nucléaire. Un traumatisme et des conséquences vécues de nombres réalisateurs d’animation (de Tezuka à Miyazaki, Takahata et le très émouvant « Dans un recoin de ce monde » de Sunao Katabuchi). Le cinéma et le manga sont d’incroyables vecteur de messages pour témoigner de leur ressenti sur cette partie sombre de l’histoire du Japon. Je trouve qu’à les différence des réalisateur d’autres pays, au Japon elle est toujours empreinte  de beaucoup de pudeur chez les réalisateur japonais afin de surmonter et tirer des enseignements ce traumatisme et avec un courage et une capacité à être résilient qui force l’admiration.

Je vais m’arrêter ici, je vous invite tout simplement à le voir au cinéma pour profiter pleinement du spectacle et de cette expérience exceptionnelle.

7)Le film du renouveau pour Makoto Shinkai ?

Même si je pense qu’il ne faut pas trop comparer les films, après les enfants du temps, on pouvait se poser quelques questions : Est ce que Suzume va être une copie de Your Name ? Est ce que M. Shinkai va surfer sur la recette de son succès, pour voir son message s’effacer face à une forme trop parfaite, trop lisse ?

Pour moi non, il ne cède pas à la facilité. Il faut reconnaitre que ce film ne représente pas la rupture que certains attendaient avec ses films précédents. On est loin de la créativité de Masaaki Yuasa par exemple. Moi je n’attendais pas cette rupture donc je n’ai pas été déçu. On peut toujours débattre et trouver qu’il ressemble par plusieurs aspects à ses précédents mais ce sera toujours le cas. Comme un chanteur à son style, un sportif ses techniques. On voit que Makoto Shinkai et toute l’équipe du film ont beaucoup travaillé sur ce film et il faut les remercier pour ce résultat.

J’ai lu qu’il avait fait de très bonnes entrées dans le monde entier et battu certains records en terme de recette.  Ok, tous les ingrédients sont présents et suffisants pour que la recette fonctionne. Ce qui est certain aussi, c’est que si vous connaissez un minimum la filmographie de M. Shinkai, vous allez davantage apprécier ce film. 

Mais Suzume est un peu plus qu’un inventaire de tout ce qui a fait son succès. Il propose une profondeur qui renouvelle de manière intelligente et intéressante la recette de ses films précédents.

On retrouve tous ces petits clins d’oeil assez qui vous feront sourire. Les trains, les gares, le Lawson et bien sur le passage au Mac Donald, mais cette fois à emporter. Dans la voiture, les enfants vont s’amuser à poser leurs burgers et boissons sur la chaise. Tous ces points qui lui ont valu des critiques. De la part de M. Shinkai, je vois par ces clins d’oeil une réponse évidente adressée à ses détracteurs, en forme d’humour. J’aimerai alors lui poser une question ? Et ce que le fait de battre les records est vraiment important pour lui ?

Un point intéressant est le parallèle avec Hayao Miyazaki. J’ai trop souvent lu qu’il était le successeur de Miyazaki, ce qui sonne faux et que Miyazaki ne cherche plus de successeur depuis longtemps. Je me doute que lorsque Shinkai n’était pas aussi connu, c’était un argument commercial pour faire vendre. Dans Suzume, j’ai été surpris de constater qu’il intègre des références évidentes aux films du studio Ghibli. Pour moi la meilleur référence est sans doute celle à « kiki la petite sorcière », quel bonheur cette musique ! A mon sens, s’il est proche d’un réalisateur du studio Ghibli, ce n’est pas de Miyazaki plutôt de Yoshifumi Kondô. Par une manière de mêler subtilement les aspirations des personnages et leur réalité citadine, la représentation parfaite des décors. Je vous invite a revoir le film « Si tu tends l’oreille » pour constater le niveau de beauté et d’immersion au Japon dans la banlieue de Tokyo qui est total, et tout cela 20 ans avant « Your Name ».

Cette réponse de sa part, je la vois comme une grimace gentille et subtile adressée à ceux qui n’ont pas cru en son potentiel pour s’exporter dans le monde entier. Et c’est juste parfait. Il pousse surement plus que jamais la comparaison avec Miyazaki mais en réalité, je pense que c’est plus un hommage, à celui qui l’a inspiré depuis son enfance (Shinkai a révélé qu’il connait tous les films de Miyazaki par coeur mais qu’il ne la jamais rencontré). Alors que l’on pouvait s’attendre à des comparaisons dans la presse, il est marrant de constater qu’aujourd’hui en France, plus aucune affiche n’invoque que M. Shinkai est le successeur de Miyazaki. Enfin sa consécration artistique !

Conclusion

Conclusion : J’attendais beaucoup de ce « nouveau Makoto Shinkai » et je n’ai pas été déçu. Suzume est un excellent film d’animation. Un fil spectaculaire. En apparence un road trip, il m’a fait voyager à travers le Japon en réalité. C’est un divertissement qui m’a fait vibrer de la première à la dernière scène. il est à la fois complexe et éblouissant. C’est aussi un film très émouvant. L’écriture et les relations entre les personnages dévoilent beaucoup d’émotions. La mise en scène révèle une montée en puissance de l’action comme une accélérateur de sensations fortes. Pendant le film, j’ai ressenti dune expérience de cinéma, de celles que je recherche et dont je ne lasse pas. En rentrant chez moi, j’ai eu envie de m’assoir sur une chaise et de fermer les yeux pour repenser à ce film.

Je ne sais pas si Suzume marquera l’histoire de l’animation japonaise mais ce que je peux vous dire qu’il a déjà marqué mon histoire avec l’animation.

8.5/10

NOTE 8,5/10

LES LIEUX DU FILM AU JAPON

LES REFERENCES MUSICALES :

QUELQUES PHOTOS

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4 commentaires sur “Critique du film SUZUME – Makoto Shinkai (2023)”

  1. Lorsque je lis les critiques de ce film, je ne peux m’empêcher de me refaire la discussion que j’aie eu avec les amis avec qui je suis allé le voir au cinéma.
    Les critiques sont toutes rédigées par des amateur d’animation japonaise, et à fortiori de culture et d’histoire du Japon. Mais les gens qu’avec qui je suis allé le voir ne sont pas japanophiles du tout, ils aiment bien les anime, mais ça s’arrête là. Et ils étaient perdus ! Ils n’ont pas fait le lien entre les dates et les évènements, ils n’ont rien compris à l’aspect mystique, ils n’ont pas compris les références au folklore et aux lieux (n’y étant jamais allé).

    Bref, ils se sont retrouvés complètement perdus devant un film qui explique peu et montre beaucoup! Et c’est pour celà que j’écris ce commentaire aujourd’hui, je trouve que les critiques incroyables sur le film n’étant écrites que par des japanophiles (logique), une partie de l’audience de retrouve un peu sur le carreau (normal).

    J’ai pour ma part bien aimé, mais je me dis que ce n’est pas un film à montrer à tout le monde, du tout, et qui est bien moins universel qu’un Miyazaki ou qu’un Satoshi Kon.

     
    1. Merci pour ton commentaire, c’est trés intéressant. Je pense que tu as raison sur le fait que ma critique (et les critiques sur les films d’animation japonais en général) vont davantage parler à ceux qui connaissent cette culture (manga, anime, voyage). J’y penserai lors de mes prochaines critiques car mon but est avant tout de faire connaitre le cinéma japonais et les films d’animation. Là ou je vous rejoins aussi, c’est que beaucoup d’explications ne sont pas données. A la fin du film, on peut se dire : ha bon, c’est tout ? En y repensant, je n’avais pas ressenti cette impression pour ses films précédents.
      Par contre, je pense que même si on ne connait pas l’histoire du japon, le folklore et les légendes japonaises, on peut apprécier ce film. Je trouve que les messages et les références sont bien plus complexes et subtils dans le voyage de Chihiro de Miyazaki par exemple. En fait chez Miyazaki, il y a une forme d’enchantement qui nous emporte et cela ne s’explique pas. C’est en ce sens qu’il est universel et différent de M. Shinkai. Je suis curieux d’en savoir plus sur le fait que les personnes qui ont vu le film avec vous étaient perdues. Elles ont apprécié ce film ? Par son aspect spectaculaire et son coté road trip, je pensais qu’il était accessible.
      Satoshi Kon, même mes amis qui connaissent sont fan d’anime ne le connaissent pas du tout. Il mérite d’être plus connu et reconnu, c’est mon avis.

       
  2. le commentaire d’AR est intéressant. Moi même consommateur régulier de culture jap au global, je n’ai pas fait tous les rapprochements tout de suite, ni même tout seul ( cet article m’y a bien aidé )

    Dès lors, difficile de dire si le film brille par sa subtilité, ou par son manque d’explication, laissant effectivement, beaucoup de gens sur le carreau.

    D’un point de vue purement cinématographique, la structure même de la narration m’a un peu endormi, je dois bien l’avouer. Un lieu, une porte, une fermeture. Schéma qui sera répété 4 ou 5 fois, avant d’enfin embrayer sur la suite.

    D’une point de vue scénaristique, alors oui c’est chouette, beaucoup de lectures possibles, mais là encore, la question mérite d’être posée : Makoto Shinkai donne il assez de clés pour comprendre l’entièreté de son œuvre ?

    Un chouette film, qui pour l’instant, est tout de même celui que j’ai le moins aimé de ses derniers films ( Your Name et les Enfants du Temps )

     
    1. Merci pour votre avis. Je suis ravi si mon article a pu (un peu) vous éclairer. Je suis d’accord avec vous sur le caractère redondant de l’action. Mais l’originalité des lieux/souvenirs m’ont suffit pour ne pas m’ennuyer.
      Par contre en terme de relations humaines, je suis resté sur un bémol. Il a beaucoup de rencontres, de personnages donc peu de relations sont réellement développées. Il n’avait surement pas le temps sur la durée d’un film. Mes films préférés de Makoto Shinkai sont « 5cm par seconde » et « The garden of Words ». Avant qu’il soit aussi connu 🙂

       

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